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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

patience et de fureur, et s’efforçait par instants de briser cette ligne de quatre hommes immobiles.

« On ne passe pas, » répétaient les factionnaires.

Et de temps en temps l’un d’eux, faisant piaffer son cheval, tournait tête vers quelques gens plus hardis qui se faufilaient de son côté, et les ruades de l’animal rejetaient l’homme au milieu de ses camarades et rendaient au torrent la goutte échappée.

Cependant la foule grossissait toujours.

Le courant apportait sans cesse de nouveaux hommes, et il se formait depuis quelque temps, dans la rue, un courant contraire, qui, remontant quand l’autre descendait, allait avant peu faire choquer, sur cette place même où nous étions, les flots tumultueux de leurs immenses colonnes.

Chaque instant nous resserrait elle et moi l’un contre l’autre, et tous les deux contre tous.

Je la regardai, elle était pâle comme un marbre.

« Pourquoi l’ai-je amenée ici ? » me dis-je tout bas.

Les fenêtres du ministère étaient brillamment illuminées ; de hauts fonctionnaires en habits brodés garnissaient les balcons, et l’on entendait de l’intérieur des appartements frissonner un orchestre joyeux dont la mélodie se mêlait doucement à la voix rauque des rugissements du peuple.

Vainement avais-je essayé de percer un passage, et d’arracher ma compagne aux bras de ce monstre immense qui l’étouffait. Des efforts plus violents et plus persévérants que les miens avaient mille fois échoué. Et cependant je la voyais chancelante dans mes bras, et je sentais que, privée d’air, elle allait s’évanouir.

Un suprême élan me fit gagner la muraille, près de laquelle je la déposai ; puis l’entourant de mes membres, comme d’un