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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

rempart, je tentai de former autour d’elle une sorte d’arc-boutant fermant un cercle vide.

Quelques instants j’y réussis ; mais que peut la force d’un homme contre l’impétuosité d’une foule ? Je fus bientôt refoulé moi-même à la muraille ; les courants s’étaient rejoints ; c’étaient des cris horribles, des imprécations sinistres. On emportait des femmes évanouies.

« Feins de te trouver mal, » murmurai-je à son oreille ; la foule s’ouvrira pour nous, comme elle s’ouvre pour ceux-ci.

Hélas ! il n’était plus temps de feindre : elle ne tombait pas parce qu’il n’y avait pas de place pour tomber ; sa tête penchait sur mon épaule ; elle râlait.

« Au secours ! » criai-je de toute la force de mes poumons.

Personne ne me répondit ; chacun était trop occupé de soi. Seulement j’entendis s’élever de nouveaux blasphèmes ; l’indignation était au comble, comme le tumulte.

Et cette indignation était juste ; car, du milieu de l’étouffement général on apercevait, ouverte, vide, pleine d’air et de vie, la rue Saint-Florentin, toujours gardée par les carabiniers.

Quelques voitures armoriées y roulaient par instants ; voilà tout.

Le peuple rugissait.

Voir la mort nous entourer de toutes parts, et à dix pas le salut, l’existence, l’espace, et, Tantale infortuné, ne pouvoir s’approcher de ce salut, de cette existence, de cet espace.

Puis, au-dessus de tout cela, entendre le bruit de la fête répondre aux sanglots des blessés.

La colère du lion se déchaîna.

Un immense cri… puis les quatre soldats tombèrent de cheval, et disparurent dans la foule.