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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

tandis que le premier mourra de faim à la porte de quelque imbécile parvenu.

Et vous me croirez si vous voulez, eh bien, je ne comprends pas cela.

Certes, je connais tout comme un autre la sottise du public : je crois que l’homme est comme le poisson, toujours en quête d’un hameçon qui le tuera ; rien ne m’étonne des absurdités humaines, et cependant j’ai peine à concevoir celle-ci. Massillon, dit-on, ne sut si bien toucher le cœur des hommes que parce qu’il avait longtemps étudié le sien ; ne suis-je pas une fraction de ce public ? si je dois le juger d’après moi, comment se fait-il qu’il ne se conduise pas comme moi ? est-ce que, lorsqu’il me prend la fantaisie ou le besoin de me procurer un vêtement, un objet de luxe, un meuble ou une femme, je me hâte de consulter les petites affiches, ou mon journal, ou les murailles ? Non ! je me rends chez le premier marchand venu, et n’y retourne que s’il m’a bien servi. Ai-je jamais lu ou acheté un livre d’après les conseils de celui qui l’a édité ? mais il faudrait avoir perdu tout son bon sens pour ne pas comprendre que celui-là, comme le marchand de sa marchandise, en dira tout le bien possible. Non, je n’ai jamais pris que moi-même pour juge et que le hasard pour guide : si je me suis trompé quelquefois, du moins n’ai-je pas à en accuser l’Annonce.

Pourquoi donc, puisque, moi, j’eus toujours horreur de la réclame, puisque, de tous mes amis, de tous les hommes que j’ai rencontrés sur ma route, aucun, de son aveu, n’a jeté les yeux sur la quatrième page des journaux, pourquoi donc n’en serait-il pas ainsi du reste du monde ? Sommes-nous une caste privilégiée : et sinon, comment expliquer le succès des réclames ?

Hélas ! peut-être s’explique-t-il d’autant mieux que personne