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LE TOUR DU MONDE PARISIEN.

J’aime avec passion les bossus ; êtes-vous comme moi ? Cette misérable classe de la société m’intéresse à un point que je ne saurais dire. Cela vient peut-être du plaisir que j’ai toujours trouvé dans mon enfance aux théâtres des marionnettes : dans ce cas, ce goût serait simplement de la reconnaissance. J’ai si souvent plaint ce malheureux Polichinelle, qui, après de si bons tours, après de si bons coups donnés au commissaire, finissait toujours par être emporté dans l’enfer ; il faut avouer d’ailleurs que son courage ne faiblissait jamais : dans les bras du diable, Polichinelle riait encore. Et c’est bien cette gaieté qui le rendait si intéressant : on avait beau me dire qu’il était vicieux, et qu’il ne lui arrivait là que la juste punition de ses fautes, je ne pouvais me persuader qu’on pût être aussi criminel lorsqu’on était aussi amusant. Battre le commissaire, un vilain homme noir, qui venait toujours troubler les plaisirs, la belle affaire ! Polichinelle était un peu gourmand ; est-ce que je ne l’étais pas ? Il aimait à sauter, à gambader, à courir ; est-ce que je ne sautais pas, je ne gambadais pas, je ne courais pas ? Polichinelle ne travaillait jamais, je haïssais la classe. Étaient-ce donc là de grands péchés ! Et alors serais-je donc damné aussi ? Ma foi, je ne voulais pas le croire, et j’insultais le diable, à qui je dois, autant que je puis croire, la violente amitié que j’ai conçue pour les bossus, et le dégoût tout spécial que j’éprouve pour les gendarmes en général et les commissaires en particulier.

Mon bossu tenait à la main un violon ; chacun se mit à rire en l’apercevant.

« Est-ce qu’il va nous faire de la musique ? » demanda son collègue, en riant comme un bossu de la petite taille du nouvel arrivant.

Celui-ci se vengea de la gaieté du premier en le reconnaissant pour un des siens ; il vint s’asseoir entre lui et moi, tout