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SAVANTS ET ÉCRIVAINS

iste et cette multitude infinie m’effraie.

Ne nous étonnons pas trop qu’il soit rebelle à toute classification ; l’âme d’un vrai philosophe est un champ de bataille, ce n’est pas une monarchie paisible où il n’y a de place que pour un seul maître. Sur ce champ de bataille, quels sont les belligérants ? Ce sont, d’une part, la raison exigeante et intransigeante, et d’autre part, les aspirations, les instincts profonds du cœur qu’aucun argument ne peut réduire ; ce sont, comme disait Kant, la raison pure d’un côté et de l’autre la raison pratique.

Dans cette lutte, la raison pure est vaincue d’avance ; nos instincts, c’est nous-mêmes, et il est naturel que nous ayons pour eux un peu de complaisance et que nous fassions pencher la balance de leur côté. Et puis la raison pure, dans ses analyses impitoyables, rencontre bientôt la contradiction. Sa rivale la rencontre également, mais elle ne s’en soucie pas, tandis que pour une construction rationnelle, toute contradiction est mortelle. Nous en venons bientôt à ne plus voir que de pures apparences dans le monde que la