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SULLY PRUDHOMME

raison semblait nous dévoiler et alors le champ reste libre pour l’aspiration, pour cette raison pratique qui nous donne le sentiment ou l’illusion, qu’elle nous révèle quelque chose de l’univers en nous faisant participer à sa vie.

C’est surtout par leur façon de comprendre la raison pratique que les philosophes diffèrent. Pour Kant, c’est une morale inflexible, la morale un peu sèche d’un catéchisme protestant. Pour Sully Prudhomme c’est une effusion tendre où l’amour de l’art et de la beauté s’allie à une recherche du bien moral, plus soucieuse de charité que de justice. C’est cela, qui, pour lui, est le reflet du monde réel. Il sent qu’il y a dans l’azur du ciel autre chose que la fine poussière par laquelle les savants l’expliquent, et ce qui lui fait espérer que ce n’est pas une illusion, c’est qu’il croit reconnaître dans son aspiration, cette force peut-être aveugle, qui produit l’évolution et modèle l’univers.

Et malgré tout, il n’avait pas trouvé la paix ; ce monde de son aspiration était un monde de poète, brillant, mais changeant et