Page:Henry - Lexique étymologique du breton moderne.djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

deux langues linguistiquement apparentées, la ressemblance, même lointaine, même insaisissable à tout autre œil que celui du linguiste, de deux synonymes ou quasi-synonymes de ces deux langues, fera surgir un nouveau problème, le plus intéressant à coup sûr, mais aussi le plus ardu, de l’étymologie : il se peut qu’aucune des deux langues n’ait rien emprunté à l’autre, que le mot breton soit authentiquement celtique, le mot français authentiquement latin, et que leur ressemblance extérieure tienne, non pas à l’union historique constatée de la Bretagne et de la France, mais à l’apparentation préhistorique du celtique et du latin.

Pour s’en assurer, il faudra évidemment restituer le mot breton sous sa forme celtique, le mot français sous sa forme latine, c’est-à-dire tous deux sous la forme qu’ils affectaient il y a au moins deux mille ans. À cette date, le latin nous est connu, mais non pas le celtique, dont les plus anciens documents remontent bien moins haut. L’élément essentiel de la comparaison nous ferait donc défaut, si une légitime induction n’y suppléait : par le rapprochement de toutes les formes celtiques actuellement vivantes ou littérairement constatées, nous pouvons espérer remonter à la forme préceltique commune d’où elles sont issues ; par le rapprochement de toutes les autres langues connues pour appartenir à la même famille que le celtique, — sanscrit, grec, latin, etc., — nous pouvons espérer reconstituer, dans sa physionomie générale, la langue primitive et inconnue qui leur a donné naissance, et dès lors, telle forme de cette langue étant donnée, redescendre de celle-ci à la forme celtique qui en a procédé. C’est ce double travail d’induction ascendante et descendante qui constitue l’essence de toute étymologie sûre d’elle-même. Mais aussi, à ce prix, atteint-elle des résultats insoupçonnés de la masse des esprits même les plus cultivés : un homme intelligent et lettré peut amuser sa fantaisie à mille rapprochements extérieurs, dont à peine vingt ou trente tiendront debout ; quand l’étymologiste est parvenu, en ramenant deux mots à une forme préhistorique commune, à en affirmer l’identité primitive, ce n’est plus d’ingénieux jeux d’esprit qu’il s’agit, mais de certitude scientifique