Page:Heredia - Discours de réception, 1895.djvu/32

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Ville, sous l’éclair des sabres, des baïonnettes et des fusils prêts à partir, dominant le tumulte, les cris, les détonations et le tocsin, il harangua le peuple ameuté et lui fit abattre le drapeau rouge, nous apparaît plus sublime que les rostres de Gracchus et la tribune de Mirabeau. Le 17 mars, il recommence cette journée légendaire. Chaque jour, il prodigue sa vie et son génie. Il est chaque jour plus riche d’éloquence et de dévouement. L’or qui lui reste, il le dilapide en charités. C’est la France qui donne par ses mains. Il donne tout, il se donne lui-même. La nature l’avait créé patricien. Ses sentiments populaires ne sont qu’une libéralité suprême de sa grande âme.

Le 23 avril, la France vote. Trois millions cinq cent mille voix l’acclament. La Constituante déclare qu’il a bien mérité de la patrie et, le 6 mai, lorsqu’il vient rendre compte de son gouvernement, l’Assemblée entière se lève devant lui. Il fut le roi d’une heure. La France était dans sa main. La dictature offerte lui répugnait. Il ne voulait être que le premier des citoyens, parce qu’il en était le meilleur. Sa probité civique le perdit. Le seul crime qu’on lui puisse reprocher est un excès de générosité. Mais lorsqu’un peuple est las ou incapable d’être libre, il ne pardonne pas à la vertu trop haute d’avoir refusé de le servir jusque dans ses instincts d’esclave. La chute de Lamartine fut aussi foudroyante qu’imméritée, irrémédiable. Il reparaît au 15 mai pour faire son devoir. Aux journées de Juin, on l’a vu passer à cheval, allant vers les barricades, la tête nue, souriant à la mort, qu’il souhaitait et qu’il chercha. Mais il lui fallait expier son génie