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positivement merveilleux !… Et maintenant, ajoute-t-il, en prenant terre, en marche !… Viens vite, Le Guen ! nous ne faisons qu’un saut jusqu’à la Tour pendant que les autres gardent l’arche sainte.

— Eh bien ! dit Le Guen, pendant qu’ils s’éloignent rapidement, c’est tout de même agréable de retrouver cette vieille terre sous ses pieds. « Le plancher des vaches ! » qu’on l’appelle à bord ! C’est bon pour blaguer. La vérité est que nulle part on n’est aussi à l’aise.

— Eh quoi ? est-ce toi qui parles ainsi ? toi, un vieux loup de mer ? fait Gérard presque scandalisé. Alors, décidément, cette course admirable que nous venons de fournir à travers les nuages, ça ne te dit rien ? Tu préférerais peut-être un simple voyage en paquebot ! ou, s’il était possible, une vulgaire diligence !

— Ma foi, m’sieu Gérard, dit Le Guen assez penaud, la diligence, c’est comme qui dirait moins casuel qu’un grand diable d’oiseau qui vous emporte sans crier gare à des cinq cents mètres de hauteur… Vrai, on se sent tout drôle…

— Et on n’en a que plus de mérite à se comporter comme toi ! accorde Gérard généreusement.

— C’est étonnant ! fait observer Le Guen au bout de quelques minutes de pas gymnastique, ou dirait que personne n’a passé par ici depuis notre départ. Je ne vois aucune ornière, aucune trace de pas, de charrette, de bestiaux… Croirait-on pas que les gens se sont donné le mot pour respecter l’ancienne propriété de not’maître ?

— Il ne faudrait pas se leurrer d’une telle illusion, dit Gérard, secouant la tête. Il y a deux bonnes raisons pour que le « Dorp » ait été délaissé par les parties adverses. D’abord il se trouve en dehors de la région où la lutte sévit ; et puis rappelle-toi l’état où Benoni et sa horde avaient laissé les choses. Ni un mur debout, ni un meuble, ni une bouteille de vin, ni vestige de vivres d’aucun genre… En vain des bandes de soldats affamés ont pu chercher quelque objet sur quoi mettre la main ou la dent ; les autres avaient fait place nette… Et c’est ce qui me laisse espérer de trouver pareille solitude à la Tour. »

L’attente de Gérard ne fut pas trompée. Du haut en bas de l’antique forteresse, un profond silence régnait : aucun être vivant, sauf les rats et les araignées, ne paraissait y avoir passé depuis l’heure où la longue caravane composée des Massey, de leurs hôtes et de leurs serviteurs, avait quitté ses murs. Sans perdre de temps, les deux éclaireurs revinrent d’un pied alerte rapporter la bonne nouvelle à leurs amis et reprirent leur place sur l’Epiornis. Trois tours de manette, l’aviateur s’élève franchit comme une flèche la courte distance, s’arrête au-dessus de la cour, descend légèrement, s’arrête avec précision sur le sol. Il est quatre heures.

« Ne perdons pas une minute ! dit Henri, mettant pied à terre. Que notre premier soin soit de nous procurer des chevaux et un guide pour gagner Modderfontein aussitôt qu’il nous sera possible. Nous vous laissons, cher monsieur Wéber, la garde de l’Epiornis, votre œuvre, votre chose. Et à notre brave Le Guen nous confions la garde de M. Wéber. Je ne vous en dis pas davantage… Au revoir ! J’ai hâte d’agir, de me voir en chemin…

— Au revoir ! au revoir, mes enfants, dit le vieillard ému. Ne tardez pas ! Ne vous inquiétez pas de nous. Le Guen et moi nous ferons très bon ménage et très bonne garde. Nos vœux vous accompagnent ! Et revenez vite avec la chère captive !… »

Les jeunes gens s’éloignent d’un pas rapide. Pour eux, toute cette partie du Veldt n’a point de secrets. Tant et tant de fois ils l’ont parcouru, le fusil sur l’épaule ! Mais, aujourd’hui, ils ne songent guère aux belles chasses de jadis ; leur seule préoccupation est de gagner promptement le centre de trafic le plus