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ses perplexités. Les conseils de la petite fille seraient pleins de valeur ; comme il lui écrivait souvent, il jugea qu’il n’aurait aucun besoin de montrer sa lettre à Mme Pole.


IX

Un étrange voyage.


Après ces événements, le temps parut bien long à Jock ; chaque jour, il guettait le facteur, attendant anxieusement une réponse de M. Harrison. Aucune lettre n’arrivait. Molly restait silencieuse, contrairement à son habitude. Un après-midi enfin, comme le petit garçon rentrait plus agité encore que de coutume, sa mère lui tendit une lettre.

Adressée à Mme Pole, cette lettre venait du vieux notaire. Il avait été si occupé, disait-il, qu’il n’avait pu écrire plus tôt ; mais il avait prévenu Bagshaw que Beggarmoor lui serait cédé pour un prix raisonnable. M. Harrison espérait qu’à la fin de la semaine la vente serait conclue et le nouveau propriétaire en possession de son bien.

Pas un mot au sujet de Jock, dont le consentement semblait être présumé ; il n’était non plus question de la lettre que l’enfant avait écrite à son vieil ami.

Jock lut lentement, puis il dit avec douceur :

« M. Harrison ne fait aucune allusion à ma lettre ; cependant, il a dû la recevoir depuis longtemps.

— Tu parles sans doute de cet interminable rabâchage que tu as posé sur ma table le jour où j’ai écrit moi-même. M. Harrison n’y a pas répondu parce qu’il ne l’a pas reçu, déclara Mme Pole. Ton papier est dans mon buvard. Je t’ai dit qu’il était inutile que tu écrivisses au vieux notaire ; à quoi bon l’ennuyer de tout ce flot de sottises ? »

Jock n’ouvrit pas la bouche, regardant inconsciemment par la fenêtre, l’âme envahie par un morne désespoir. Les circonstances lui étaient cruelles ; il ne pouvait rien pour empêcher la vente de Beggarmoor. On était au mardi : quelle que fût son inexpérience des affaires, il comprit que le temps lui manquait pour s’entendre par correspondance, et cependant Bagshaw allait être en pleine possession de la terre si aimée, vendredi ou samedi.

Mme Pole s’inquiétait peu des impressions de son fils : elle avait quitté la salle en se souvenant de sa dernière discussion avec Jock, qu’elle continuait à trouver insensé et entêté. Tout à coup, elle se montra dans l’embrasure de la porte.

« Jock, dit-elle, j’oubliais de te remettre ceci : c’est une lettre de ta petite amie ; elle est arrivée en même temps que la mienne ! »

Jock prit la lettre qui lui était tendue et sortit. Quand il fut seul, il se mit à la lire, sans espoir qu’elle put lui être utile dans les difficultés présentes.

Molly n’avait pas été négligente. Elle avait commencé par s’informer près de M. Harrison du nom de l’ingénieur consulté par M. Grimshaw. Quand elle eut acquis la certitude que son grand-père ne pouvait lui fournir aucun renseignement à cet égard, accompagnée de sa nourrice elle avait pris la route de Gray-Tors. Une fois là, elle avait demandé au vieux sommelier s’il se souvenait du nom de l’étranger qui avait passé pendant le séjour de Jock chez son vieux parent.

Hélas ! M. Grimshaw avait attendu lui-même son visiteur à la porte, et le sommelier n’avait pas entendu prononcer son nom.

« Je ne vois personne autre qui puisse le savoir, écrivait Molly en terminant. Vous ferez bien de venir vous-même voir grand-père : je suis sûre qu’il n’a jamais reçu votre lettre, et, si vous étiez ici, peut-être pourriez-vous éclaircir le mystère ? »

Jock resta pensif. Une résolution désespérée lui traversa l’esprit ; plus il réfléchissait, plus