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Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/12

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Il représente donc la classe moyenne des chevaliers croisés, et c’est ce qui donne un si grand intérêt à son récit. En maint passage l’Anonyme exprime l’ardeur de ses sentiments religieux et de son enthousiasme pour la croisade, mais aussi de sa haine pour les infidèles, qu’il confond sous le nom de « païens » et qu’il prend naïvement pour des idolâtres. Les chrétiens tués dans un combat sont considérés par lui comme des martyrs, tandis que les Turcs mortellement atteints rendent leurs âmes au diable et à ses anges (chap. XVIII). Comme ses contemporains, il trouve justes et raconte froidement les massacres les plus horribles, la décapitation des prisonniers turcs (chap. XII), la violation des sépultures musulmanes (chap. XVIII), l’égorgement de la population sans défense dans les villes prises d’assaut (chap. IV, XXX, XXXI, XXXIII, XXXVIII). Et, d’autre part, en vrai chevalier, il admire les beaux exploits et les grands coups d’épée ; certains de ses récits de bataille ont une couleur véritablement épique et il a un tel amour de la vaillance qu’il la prise même chez les Turcs ; il va jusqu’à dire (chap. IX) que, si les Turcs étaient chrétiens, ils seraient les premiers chevaliers du monde.

Ce qui frappe surtout dans son récit, c’est sa sincérité, la naïveté avec laquelle il étale ses sentiments, ses préjugés et toutes ses préoccupations. C’est ainsi qu’en vrai combattant il connaît le prix des questions matérielles : le ravitaillement si difficile des bandes de croisés, le prix du pain, la valeur de l’argent, les moyens employés pour avoir de l’eau potable tiennent dans son récit une place de premier ordre. À l’occasion aussi, il critique les mesures prises par les chefs, il s’indigne de les voir se lier vis-à-vis de l’empereur Alexis par le serment féodal (chap. VI) et surtout il ne perd aucune occasion d’exprimer la haine et la défiance que lui inspirent les Grecs. Alexis Comnène est pour lui « le très