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Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/183

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car il n’était plus permis à qui avait du pain de le manger, à qui avait de l’eau de la boire, établirent un mur avec de la pierre et de la chaux entre eux et nous et construisirent un château garni de machines pour assurer notre sécurité[1]. Une partie des Turcs demeura dans la citadelle à nous combattre ; l’autre partie prit quartier dans une vallée, près de la citadelle[2].

La nuit survenant, un feu apparut dans le ciel, venant de l’ouest[3], et, en approchant, il tomba au milieu de l’armée turque, à la grande stupeur des nôtres et des Turcs. Au matin, les Turcs, épouvantés, s’enfuirent, par crainte du météore, jusqu’à la porte de Bohémond[4] et y établirent leur quartier. La garnison de la citadelle continuait à attaquer les nôtres jour et nuit, en les blessant ou les tuant à coups de flèches ; le reste des Turcs assiégeait la ville de tous côtés, si bien que nul des nôtres n’osait en sortir ou y entrer, si ce n’est la nuit et en cachette. Ainsi nous étions assiégés et resserrés par ces ennemis, dont le nombre était incommensurable[5].

Ces sacrilèges et ennemis de Dieu nous tenaient si étroitement bloqués dans Antioche que beaucoup moururent de faim. Un petit pain se vendait un besant[6] ; inutile de parler du vin. On mangeait et on vendait de la viande de cheval ou d’âne ; une poule valait quinze sous, un œuf deux sous, une noix un denier. Tout était hors de prix : la famine était si grande qu’on faisait cuire pour les manger des feuilles de

  1. Cf. Raimond d’Aguilers, 11, p. 239. Ce mur devait arrêter les tentatives de la garnison turque de la citadelle pour pénétrer dans la ville.
  2. Dans une vallée du mont Cassius.
  3. Une étoile filante. Cf. Raimond d’Aguilers, 11, p. 257 : « Signum in coelo mirabile vidimus. »
  4. Les armées entrées dans la ville avaient reçu la garde du secteur qu’elles avaient assiégé.
  5. Désespérant de pénétrer dans la ville par la citadelle, Kerbôga essaye de la prendre par la famine : d’où la nouvelle disposition de ses troupes.
  6. Sur la valeur du besant et du sou, voir p. 95, n. 5, et p. 76, n. 2.