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Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/97

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trouverait personne qui puisse leur être égalé en puissance, en courage, en science de la guerre[1] ; et pourtant, par la grâce de Dieu, ils furent vaincus par les nôtres. Cette bataille eut lieu le premier jour de juillet.


[QUATRIÈME RÉCIT]
[La marche des croisés sur Antioche
(juillet-20 octobre 1097)
]

[10.] Après que les Turcs, ennemis de Dieu et de la sainte Chrétienté, eurent été entièrement vaincus et se furent enfuis pendant quatre jours et quatre nuits, il arriva que Soliman, leur chef[2], fils de Soliman l’Ancien, s’étant enfui de Nicée, rencontra dix mille Arabes, qui lui dirent : « O infortuné et plus infortuné que tous les peuples ! Pourquoi fuis-tu épouvanté ? » Soliman leur répondit : « Parce que naguère, ayant vaincu tous les Francs, je les croyais déjà enchaînés en captivité, et, pendant que je voulais les lier tour à tour les uns aux autres, regardant en arrière, je vis qu’ils formaient un peuple tellement innombrable que, si vous ou tout autre eussiez été présent, il vous eût semblé voir toutes les montagnes, les collines, les vallées, les plaines couvertes de leur multitude[3]. Et nous, à leur vue, nous poursuivîmes subitement notre chemin, poussés par une telle frayeur que ce fut à peine que nous parvînmes à nous tirer de leurs mains ; et, si vous voulez croire mes paroles, vous vous tirerez de là, car, s’ils pouvaient seulement connaître votre présence, pas un de vous n’échapperait vivant. »

  1. Réflexions personnelles d’un grand intérêt. C’est le plus ancien témoignage, exprimé d’une manière naïve, de l’estime mutuelle que les Francs et les Turcs ne cessèrent d’acquérir au cours des croisades.
  2. Soliman II (Kilidsch Arslan), sultan seldjoucide, avait succédé à son père Soliman Ier en 1086. C’était lui qui commandait les Turcs à la bataille de Dorylée.
  3. Le passage reproduit les termes mêmes qui ont servi à décrire la puissance de l’armée turque avant la bataille de Dorylée. Voir plus haut, p. 46. Sur le caractère et la valeur de ce morceau, voir l’Introduction, p. vi.