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Page:Histoire d’une âme (édition de 1912).pdf/70

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Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus.

instant de ce beau jour ; et, le soir au grand dîner, on la mit à la place d’honneur. Hélas ! j’étais trop petite rour rester à ce pieux festin ; mais j’y participai un peu, grâce à la bonté de papa qui vint lui-même, au dessert, apporter à sa petite reine un morceau de la pièce montée.

Maintenant il me reste à parler de Céline, la petite compagne de mon enfance. Pour elle, les souvenirs sont en telle abondance que je ne sais lesquels choisir. Nous nous entendions parfaitement toutes les deux ; mais j’étais bien plus vive et bien moins naïve qu’elle. Voici une lettre qui vous montrera, ma Mère, combien Céline était douce, et moi méchante. J’avais alors près de trois ans et Céline six ans et demi.

Ma petite Céline est tout à fait portée à la vertu ; pour le petit furet, on ne sait pas trop comment ça fera ; c’est si petit. si étourdi ! C’est une enfant très intelligente ; mais elle est bien moins douce que sa sœur, et surtout d’un entêtement presque invincible. Quand elle dit non, rien ne peut la faire céder ; on la mettrait une journée dans la cave sans obtenir un oui de sa part ; elle y coucherait plutôt !

J’avais encore un défaut dont ma mère ne parle pas dans ses lettres : c’était un grand amour-propre. En voici seulement deux exemples :

Un jour, voulant connaître sans doute jusqu’où irait mon orgueil, elle me dit en souriant : « Ma petite Thérèse, si tu veux baiser la terre je vais te donner un sou. » Un sou, cela valait pour moi toute une fortune. Pour le gagner dans la circonstance, je n’avais guère besoin d’abaisser ma grandeur, car ma petite taille ne mettait pas une distance considérable entre moi et la terre ; cependant ma fierté se révolta, et, me tenant bien droite, je répondis à maman : « Oh ! non, ma petite mère, j’aime mieux ne pas avoir de sou. »