Page:Hobbes - Léviathan - Tome I.djvu/79

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
— 24 —

La Prudence. — Désire-t-on savoir ce qui résultera d’une action, on pense à quelqu’autre action semblable passée, et à ses résultats, dans l’ordre où ils se sont succédé ; car l’on suppose que de semblables résultats suivront de semblables actions[1]. Ainsi, celui qui veut savoir [, par avance,] ce qu’il adviendra d’un Criminel se remémore les conséquences qu’il a vues suivre un Crime semblable au sien ; il a cet ordre de pensées : le Crime, l’Agent de police, la Prison, le Juge, les Galères[2]. On appelle cette sorte de pensées : Prévision, Prudence ou Providence et quelquefois Sagesse, bien qu’en raison de la difficulté d’observer toutes les circonstances, une telle conjecture soit très fallacieuse[3]. Mais ce qui est certain c’est que le fait pour quelqu’un d’avoir plus d’expérience qu’un autre des choses passées le rend d’autant plus Prudent que lui et qu’il a d’autant plus rarement que lui de chances de se tromper dans ses expectations. Seul, le Présent existe dans la Nature le Passé n’existe que dans la Mémoire : mais les choses à venir n’ont pas d’existence du tout, car le Futur n’est qu’une Fiction de notre esprit qui applique aux actions Présentes les séquences des actions Passées[4] ; et cela peut se faire avec d’autant plus

  1. Le latin dit : « car de semblables résultats suivent le plus souvent de semblables actions ».
  2. Le latin dit : « le gibet » (patibulum).
  3. Le latin dit : « bien que ce ne soit qu’une conjecture, et qu’elle risque fort d’être fallacieuse en raison de la difficulté d’observer toutes les circonstances ».
  4. Le passage à partir de : « Seul, le Présent existe » est ainsi traduit par G. Lyon (La Philosophie de Hobbes, Paris, Alcan, 1893, page 105) : « II n’y a que le présent qui ait une existence dans la nature ; les choses passées n’ont d’existence que