Le 26 octobre 1815, Alexandre fut de retour à Saint-Pétersbourg, où, peu de jours après, il maria son frère Nicolas à l’une des filles de son allié et ami, le roi de Prusse. Puis il partit pour Varsovie, capitale du royaume conquis, auquel il se montra pour la première fois comme roi, tenant en main une constitution qui aurait pu suffire aux besoins des Polonais, si la nomination du grand-duc Constantin comme gouverneur militaire n’en avait pas tout aussitôt affaibli le bienfait, et si l’exécution n’en eût pas été suspendue presque immédiatement. Depuis, plusieurs années de paix permirent à Alexandre de reporter son attention sur les affaires intérieures de son empire ; mais la multiplicité d’abus qu’il y découvrit, le travail immense auquel aurait donné lieu la réforme qu’elles réclamaient, les obstacles qu’il rencontrait à chaque pas, et le quiétisme religieux dans lequel il était tombé, paralysèrent ses efforts. Toutefois il provoqua l’abo-
lition de la servitude en Courlanrle, dans la Livonie et dans l’Esthonie ; et quand, en 1819, les députés de la noblesse livonienne vinrent lui demander la sanction de cette mesure pliilanthropique, il leur dit ces paroles remarquables : « Vous avez agi dans l’intérêt de notre siècle, dans lequel, pour fonder le bonheur des peuples, il faut des intentions libérales. » De plus, il parcourut encore tout l’intérieur du pays, créa une banque du commerce, soutint l’historien Karamzindans sa grande et laborieuse entreprise, s’occupa avec ardeur de la navigation et de marine russe, encouragea l’industrie en permettant aux paysans d’élever des fabriques, travailla à diminuer la dette dont la Russie était chargée ; enfin il exila les jésuites des deux capitales, avant de leur interdire tout l’empire. C’est aussi dans cet intervalle qu’il fonda, de concert avec le comte Araktchéïef (en qui il avait une confiance illimitée que ne justifiaient aux yeux du pays ni les talents ni le caractère de ce général), des colonies militaires, dans le but d’entretenir une armée considérable sans augmenter les charges de l’État, et sans enlever à l’agriculture les bras nécessaires à la défense du pays.
Le congrès d’Aix-la-Chapelle, auquel Alexandre prit une part si décisive, suspendit quelques moments, son ardeur de réorganisation. A dater du congrès de Troppau, il fut constamment distrait des soins de son empire par l’attachement qu’il conserva pour les principes de la Sainte-Alliance, et par sa crainte que les idées libérales, qui se faisaient jour presque à la fois en Espagne, en Italie et en Portugal, ne finissent par embraser l’Europe entière et par ébranler tous les trônes. Pendant qu’il armait l’Autriche contre l’Italie, et que, de concert avec ses alliés, il poussait la France contre l’Espagne, il abandonna à leur sort ses coreligionnaires de la Grèce, dont il avait longtemps favorisé les vœux, et que l’espérance seule d’obtenir son appui avait engagés à la levée de boucliers de 1821. Vivement affecté de la tourmente à laquelle une grande partie de l’Europe se trouvait livrée, plus effrayé encore de l’insubordination momentanée d’un régiment de ses gardes, il abjura vers la fin de ses jours les idées que M. la Harpe avait fait germer en lui avec tant de soins, et qui avaient fait sa gloire aux yeux de l’Europe civilisée. La censure, en Russie, devint alors sévère et méticuleuse ; une inquisition tracassière fut exercée contre plusieurs professeurs de la nouvelle université de Saint-Pétersbourg ; on opposa de grands obstacles aux voyages des Russes dans les pays étrangers ; la franc-maçonnerie fut supprimée dans tout l’empire, et la Pologne demanda en vain l’accomplissement des magnifiques promesses qu’on lui avait faites. Le cabinet autrichien exerça une influence de plus en plus décisive sur celui de Saint-Pétersbourg ; la Turquie mit impunément la longanimité d’Alexandre aux plus cruelles épreuves, et son pays perdit beaucoup de cette considération et de cette po-