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Page:Hoefer - Biographie, Tome 38.djvu/417

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trances. Louis XI, sans respect pour son oncle et pour ses cheveux blancs, apostropha de telle sorte le débile vieillard que celui-ci, brisé par cette atteinte, expira quelques jours plus tard, à Amboise[1].

Les écrits de Charles d’Orléans sont le principal titre qui le fasse vivre dans l’histoire ; ils se composent, 1° d’actes, instructions, discours, pièces de correspondance, etc., en français et en latin. Cette première catégorie de documents, très-dispersés et en désordre, mériterait d’être attentivement réunie et classée : elle importe surtout à l’histoire[2]. 2° Ses œuvres poétiques, qui forment un recueil de 102 ballades, 131 chansons, caroles, ou chants à danser, 7 complaintes, ou jeux-partis, et 400 rondeaux. Elles témoignent de son activité littéraire, et marquent chronologiquement le cours entier de sa carrière virile. Sauf quelques pièces, dont la date ou l’authenticité ne nous paraît pas démontrée, ces poésies ne remontent qu’à la captivité du prince après la bataille d’Azincourt, et se continuent jusqu’à l’extrême vieillesse de l’auteur. On y trouve mêlées diverses pièces des collaborateurs ou interlocuteurs poétiques, que comportait, par son essence même, ce genre littéraire. Ces poésies sont écrites parfois en anglais, en latin, en macaronique, mêlé d’italien et de provençal, etc.[3]. La plupart, conçues en français, constituent un notable monument de la langue et de la poésie nationales. Ce sont, comme on le voit par leurs dénominations, des productions d’un genre léger, intime, familier, appropriées aux pensées et sentiments de cet ordre. Aussi, en abordant les poésies de Charles d’Orléans, convient-il d’être prévenu contre une sorte de désappointement presque inévitable. Charles, duc d’Orléans, par son nom seul joua un rôle moral très-notable et historique au quinzième siècle. On s’attend donc à trouver dans ses vers une sorte de miroir poétique, grandiose, ou du moins réduit et concentré, des événements. Il n’en est rien, ou peu de chose. Charles et ses conseillers furent de ceux qui, en 1410, pour venger la mort de son père, appelèrent et introduisirent les Anglais en France. Le duc devint la première victime de cette témérité, si coupable aux yeux d’un juge moderne. Vingt-cinq ans de captivité finirent par amortir et par étouffer le peu de zèle, d’énergie morale et patriotique, en un mot de véritable dévouement dont il était doué. Il adopta de force, mais au moins pour la moitié, la langue et les idées de ceux dont il était entouré et maîtrisé. Charles tenta, au prix ou au risque des concessions les plus extrêmes et les plus onéreuses pour la France, une réconciliation des deux couronnes, qui devait lui rendre à lui-même la liberté. En 1433, ce fut lui qui suggéra aux Anglais l’idée d’armer les paysans de la Normandie pour rétablir l’ordre et l’autorité de leur gouvernement, compromis dans cette province[4]. Tels étaient les sentiments politiques ou moraux qui animaient Charles d’Orléans. Excepté dans deux ou trois morceaux des plus faibles et des plus incolores, il s’abstient en général de toute allusion aux affaires sérieuses et aux événements historiques de son temps. Charles d’Orléans, pour rappeler l’expression d’un grand poëte de nos jours, « n’ajouta pas à sa lyre une corde d’airain ».

Les sensations intérieures de l’âme, le spectacle de la nature, toujours grande, belle, harmonieuse, même à travers les barreaux d’une prison, même sous le ciel inclément de la brumeuse Angleterre, sont ses sujets de prédilection. Ces chants ne reflètent pas l’histoire d’une époque, mais l’histoire d’une âme et d’un poëte. Sa vie s’y déroule tout entière, de saison en saison, et dans une suite de charmants tableaux. Bel-Accueil, Dangier, Gracieux-Désir, Confort, Doux-Espoir, Beauté, Amours, etc., en un mot toute la mythologie galante, consacrée par la littérature du moyen âge, y figure successivement. Il a peint à son tour ces mille riens qui défrayent les créations de ses nombreux émules. Mais il a rajeuni ce fonds commun par une grâce simple, naïve, originale et par un talent qui lui est es-

  1. Les traits de Charles d’Orléans sont reproduits avec talent dans un manuscrit décoré de ses armes, et qui appartenait à Marie de Clèves, sa troisième femme. Cette effigie, très-précieuse et très-mutilée, se trouve en tête du manuscrit français 966 de la Bibliothèque impériale, exécuté vers 1451. Le duc y paraît en effet âgé d’environ soixante ans. Cette miniature a été très-imparfaitement imitée, ou gravée au burin, par G. S. Gaucher, vers 1780. Une lithographie, pire encore, de Rulmann, a reproduit, plus récemment, la précédente estampe. Le manuscrit royal n° 16 du British Muséum offre plusieurs images du duc poëte. Voy. Illustration, 1845, t. 6, p. 253. On peut consulter encore les sources suivantes à titre de renseignements iconographiques. Armoriai de Berry le hérault, manusc. 9633, 5, 5, f° 16, verso. Le duc Charles y est représenté (vers l’an 1454) dans son appareil héraldique. Au musée de Versailles, n° 1756, portrait ( ?) de Charles, duc d’Orléans, tout armé, d’après la collection possédée à Beauregard, près Blois, par M. le comte de Chollet. Sa statue aux Célestins, en 1504 : voir Millin, Antiquités nationales, t. I, planche 2 ; Guilhermy, Monographie de Saint-Denis, p. 287 ; Lenoir, Statistique monumentale de Paris ; Célestins, planche VI. Vitrail de 1540, aux Célestins : Millin, ibid., planche 19, case 3. Voyez encore Gaignières, manusc. 894, f° 37 : Catalogue des portraits qui sont au château Saint-Ange.
  2. D’après une découverte toute récente, due à M. Kervyn de Lettenhove, Charles, duc d’Orléans ; serait l’auteur d’une traduction française de La Consolation de Boëce, dédiée à Charles VII, vers 1423. ( Voy. Études sur Froissart ; 1857, in-16, t. 2, p. 343.)
  3. L’une de ces pièces, le rondel 201, édition Champollion, p. 355, a pour premier couplet :

    Contre fenoches et noxbuze
    Peut servir ung tantost de France
    Da ly parolles de plaisance
    Au plus saperé l’en cabuze.

    Cette langue est une espèce d’argot dont les poètes au quinzième siècle, et notamment Villon, etc., ont fait usage, aussi bien que des prosateurs. Voyez la Chronique de P. Cochon dans Cousinot, 1839, in-16, p. 381 et note ; Watson Taylor, Poems, etc., p. 189.

  4. Ici encore l’événement tourna contre les prévisions de Charles, duc d’Orléans, et contre le résultat qu’on s’en promettait. Cantepic prit la direction de ce mouvement, qui fut le prélude de l’émancipation de la Normandie.