Page:Hoffmann - Œuvres complètes, tome III.djvu/195

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» Le ministre ne peut pas oublier la daubée de coups de canne que tu lui as distribuée, et il a juré d’en tirer vengeance. Tu ne peux plus décidément reparaître à Kerepes. Il m’en veut aussi extrêmement, parce que j’ai découvert en l’épiant la manière mystérieuse dont il se fait coiffer par une dame ailée ; et tant que Cinabre restera le favori du prince, je ne pourrai prétendre à aucun emploi un peu honorable. Ma mauvaise étoile veut que je me rencontre sans cesse avec cet avorton, là où je devrais m’y attendre le moins, et avec des circonstances qui me deviendront fatales.

» Dernièrement, l’incroyable ministre, en grande tenue de cour, l’épée au côté, décoré de l’étoile et du grand cordon de l’ordre du Tigre, est allé visiter le cabinet de zoologie, et, se tremoussant sur la pointe des pieds, suivant son habitude, il s’était arrêté, appuyé par derrière sur sa canne, devant l’armoire vitrée qui renferme empaillés les singes d’Amérique les plus curieux. Des étrangers qui visitaient aussi le cabinet s’approchent, et l’un d’eux, à la vue de notre mandragore, s’écrie à haute voix : « O le singe charmant ! — Quel gentil animal ! C’est le plus précieux de la collection. — Et comment s’appelle ce joli petit singe ? de quel pays vient-il ? »

» À cette question, le conservateur du cabinet dit fort sérieusement, en touchant l’épaule de Cinabre : « Oui, c’est en effet un très-joli sujet, un véritable brésilien, le mycète Belzebub, messieurs, — Simia Belzebub Linnæi : niger, barbatus, podiis caudâque apice brunneis — de la famille des hurleurs[1].

  1. Le singe Belzebub de Linnée, remarquable par sa longue queue terminée en forme de houppe, et dont il a la faculté de se servir comme d’une main dans certaines occasions.