Page:Hoffmann - Œuvres complètes, tome III.djvu/273

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entre Anna et Don Juan. Elle avait sans doute été destinée par le ciel à révéler à Don Juan la tendance divine de sa nature, et, en l’arrachant au désespoir de ses efforts stériles, à le sauver par l’amour même dont Satan s’était servi pour le corrompre. — Pourquoi la vit-il trop tard ! à l’apogée de sa criminelle carrière, et quand il ne pouvait être animé que de l’envie diabolique de consommer sa perte. — Elle ne put pas s’y soustraire ! Quand Don Juan paraît sur la scène en s’enfuyant, elle a déjà succombé !… Une ardeur de sensualité surhumaine, le feu de l’enfer brûlait dans ses veines, et toute résistance eût été inutile. Don Juan, Don Juan seul pouvait l’embraser d’une aussi luxurieuse frénésie, et l’induire à pécher avec le plus damnable emportement !

Mais, lorsque le séducteur songe à s’enfuir, après avoir consommé son odieux attentat, la pensée de sa perte vient la saisir comme un monstre armé de griffes venimeuses, et lui infliger d’indicibles tourments. — La mort de son père, tué de la main de Don Juan, son union avec le froid, l’efféminé, le vulgaire Don Ottavio, qu’elle avait cru aimer autrefois, l’amour même dont la flamme destructive ravage le fond de son âme, — cet amour qui lui parut si radieux dans le moment de la suprême jouissance, et qui maintenant brûle son sein comme la haine la plus envenimée : tout cela lui cause une fiévre délirante. Elle sent qu’il n’y a que la ruine de Don Juan qui puisse calmer les tortures mortelles dont son cœur est dechiré. Mais ce doit être aussi son arrêt de mort sur cette terre !