Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 2, trad. Egmont, 1836.djvu/12

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très satisfaisante cette explication de l’antipathie de Siegfried contre le jeu.

Siegfried apprit bientôt de quelle médisance il était l’objet, et comme avec son caractère libéral et magnanime, il ne haïssait et ne méprisait rien tant que la ladrerie, il résolut de confondre les calomniateurs et, quelle que fût son aversion pour le jeu, de se racheter de cet injurieux soupçon en perdant deux cents louis, et même davantage. — Il se rendit donc au Pharaon avec le parti pris de perdre la somme importante dont il s’était nanti ; mais le bonheur, qui le suivait dans toutes ses entreprises, lui fut aussi fidèle dans l’épreuve du jeu. Chaque carte choisie par lui était favorisée. Les calculs cabalistiques des vieux joueurs consommés échouaient devant la fortune du baron. Soit qu’il gardât la même carte, soit qu’il en changeât, n’importe ! la chance était toujours pour lui. Siegfried donnait le rare spectacle d’un joueur hors de lui de dépit, parce que les cartes lui sont favorables, et, quelque simple que fût la raison de cette conduite, les assistants se regardaient pourtant avec un air pensif, et l’on donnait assez clairement à entendre qu’entraîné par son penchant à la singularité, le baron pouvait bien, au bout du compte, être atteint d’un grain de folie : car n’était-il pas nécessairement aliéné le joueur que désolait son propre bonheur ?

La circonstance même du gain d’une somme considérable obligea le baron à continuer de jouer pour accomplir son projet de perdre, une chance défavorable devant bientôt, suivant toute probabilité, compenser