Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 2, trad. Egmont, 1836.djvu/24

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était un véritable joueur. D’autres ont seulement le gain en perspective et considèrent le jeu comme un moyen de s’enrichir promptement. C’est dans cette classe que se rangea le chevalier, et il confirma ainsi cette vérité que la passion abstraite et véritable du jeu est un sentiment inné et dépendant d’une organisation individuelle.

Par suite de ses idées de fortune, le chevalier trouva bientôt son jeu trop restreint dans les limites imposées au ponte. Avec la somme importante qu’il avait gagnée, il établit une banque, laquelle devint en peu de temps, grâce à l’avantage persévérant qui ne cessa de le favoriser, la plus riche de tout Paris. Ainsi qu’il arrive toujours, la richesse et le singulier bonheur du nouveau banquier attirèrent chez lui le plus grand nombre de joueurs.

La vie déréglée et licencieuse du joueur corrompit bientôt toutes les qualités de l’esprit et du corps qui avaient autrefois concilié au chevalier autant d’estime que d’affection. Ce n’était plus l’ami fidèle, le compagnon franc et joyeux, le galant et chevaleresque adorateur des dames. L’amour de l’art et de la science était mort dans son esprit, et son goût pour l’étude complètement éteint. Son visage pâle comme la mort, ses yeux caves et étincelants d’un feu sombre portaient l’empreinte de la passion désastreuse qui le tenait asservi ; et ce n’était point la passion du jeu, mais une cupidité effrénée allumée dans son cœur par Satan lui-même ! — En un mot, c’était le banquier le plus accompli qui fût jamais.