Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 2, trad. Egmont, 1836.djvu/27

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n’en est pas moins incompréhensible que Vertua, un avare fieffé de cette nature, ait pu se résoudre à exposer tant d’argent. Et, à coup sûr, il ne reviendra plus. Nous en voilà débarrassés ! »

Cette supposition ne fut pourtant pas réalisée, car, dès la nuit suivante, Vertua était déjà de retour à la banque du chevalier, où il joua et perdit dans une proportion plus forte que la veille. Néanmoins il restait calme et souriait seulement parfois avec une ironie amère, comme s’il eût prévu avec certitude un prochain revirement de fortune. Mais la perte du vieillard s’accrut et grossit comme une avalanche avec une rapidité progressive dans chacune des nuits suivantes, après lesquelles on calcula qu’il avait payé au banquier environ trente mille louis d’or. À quelque temps de là, il parut un soir dans le salon de jeu quand déjà la séance était fort avancée. Pâle comme la mort et les yeux hagards, il se plaça à quelque distance de la table, le regard fixé sur les cartes qu’amenait le chevalier. Enfin, comme celui-ci, après avoir refait et donné à couper, allait commencer une nouvelle taille, le vieillard s’écria d’une voix si aiguë : « Arrêtez ! » que tout le monde tressaillit et regarda en arrière. Le vieillard alors se fit jour jusqu’auprès du chevalier et d’une voix sourde il lui dit à l’oreille : « Chevalier ! ma maison de la rue Saint-Honoré avec tout l’ameublement, ma vaisselle d’or et d’argent et tous mes bijoux, est estimée quatre-vingt mille francs : voulez-vous tenir la mise ? — Soit ! » répliqua le chevalier froidement sans détourner la tête, et il commença à tailler.