Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 2, trad. Egmont, 1836.djvu/343

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immense fortune, en tournant avec un sourire de plaisir un feuillet du livre des recettes. Et il se disposait à se lever ; mais il se sentit fléchir, lourdement oppressé par la peur, en voyant la porte de la salle s’ouvrir violemment, et une figure pâle et livide s’avancer comme un spectre devant eux.

C’était Daniel ! Daniel si grièvement malade, si défaillant sur son lit de douleur, que V. ainsi que tout le monde l’aurait cru incapable de bouger un seul membre, et qui pourtant, dans un nouvel accès de somnambulisme, commençait sa tournée nocturne. Sans pouvoir proférer un mot, le baron suivait d’un œil avide les pas du vieillard ; mais lorsque celui-ci, avec un râle affreux, se mit à gratter contre le mur, le baron fut saisi d’une terreur profonde. Pâle comme la mort, ses cheveux se dressant sur sa tête, il s’avança à grands pas vers l’intendant avec un geste menaçant, et s’écria d’une voix si forte que toute la salle en trembla : « Daniel ! Daniel ! que fais-tu ici à cette heure. » — À ces mots, le vieillard fit entendre son cri lamentable, que Wolfgang avait comparé au hurlement d’une bête fauve à l’agonie, le jour où il lui offrit de l’or en récompense de sa fidélité, et il tomba à la renverse.

V. appela les domestiques ; on releva Daniel, et on s’efforça par tous les moyens possibles de le rappeler à la vie, mais ce fut en vain. Alors le baron s’écria tout hors de lui-même : « Grand Dieu ! grand Dieu ! n’ai-je pas entendu dire en effet que les somnambules, dès qu’on les appelle en prononçant leur nom, peuvent mourir sur la place même ? — Hélas !