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Contes

Ottmar, quel rêve n’est donc pas extraordinaire ? mais ceux-là seuls qui nous révèlent une circonstance frappante, les esprits précurseurs des grandes destinées, comme dit Schiller, qui nous transportent tout à coup d’un élan rapide dans les sombres et mystérieuses régions où nos yeux débiles n’osent jeter que de timides regards, ceux-là seuls nous causent une impression profonde dont personne ne peut se dissimuler la puissance. »

Le baron répliqua d’une voix sourde : « Tout rêve, vaine écume ! — Je m’empare, répartit Ottmar, de ce dicton même des matérialistes qui trouvent tout naturels les plus merveilleux phénomènes, tandis que souvent la chose la plus naturelle leur paraît prodigieuse et inconcevable, et j’y vois un sens allégorique remarquable.

— Quel contre-sens vois-tu, s’il te plaît, à ce vieux et trivial adage ? » demanda Maria en bâillant. Ottmar répondit en souriant, avec les paroles de Prospero1 : « Relève les franges du voile de tes yeux et écoute-moi avec bonté !… Sérieusement, chère Maria, si tu avais moins envie de dormir, tu aurais déjà pressenti de toi-même que cette comparaison des rêves avec l’écume, car c’est des rêves qu’il s’agit, c’est-à-dire d’un des phénomènes les plus profondément sublimes de la vie humaine, ne peut s’entendre que de l’écume la plus noble de toutes. Or, c’est évidemment celle de l’effervescent, pétillant et impétueux Champagne, que tu ne dédaignes pas de flûter quelquefois, malgré le fier mépris qu’en véritable demoiselle tu manifestes pour le jus de la treille en géné-