Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 2, trad. Egmont, 1836.djvu/42

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l’entretenait de choses spirituelles, le vieillard couché et les yeux fermés murmurait entre ses dents : « Perd ! — gagne ! » Et de ses mains tremblantes des convulsions de l’agonie il faisait les mouvements de tailler, de couper, de tirer les cartes. Ce fut en vain qu’Angela et le chevalier, penchés sur lui, l’appelaient des noms les plus tendres, il semblait ne plus les voir, ne plus les entendre. Avec le profond soupir : Gagne ! il exhala son dernier souffle.

Au milieu de son extrême douleur, Angela ne put se défendre d’un frisson de terreur à la pensée de cette mort sinistre. L’image de la nuit affreuse, où elle vit pour la première fois le chevalier sous l’aspect d’un joueur endurci et frénétique, lui revint à la mémoire, et lui inspira l’effroyable idée que le chevalier peut-être un jour quitterait brusquement le masque de l’ange, pour reprendre sa première vie et se railler d’elle sous ses traits originels de démon.

L’affreux pressentiment d’Angela ne devait que trop tôt se réaliser.

Quelque terreur qu’eût fait naître dans l’esprit du chevalier le genre de mort du vieux Francesco Vertua, qui, dédaignant les secours de l’église en ce moment solennel, nourrissait encore la pensée opiniâtre de ses anciens égarements, l’effet de ce spectacle fut pourtant de réveiller en lui des pensées de jeu trop actives, et sans qu’il pût lui-même se rendre compte de ses sensations, chaque nuit il se voyait en rêve assis à la banque, et récoltant de nouvelles richesses.