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Page:Hoffmann - Contes fantastiques, trad. Christian, 1861.djvu/19

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térieur, suivi des maçons portant pioches et marteaux ; il mesurait, calculait, ordonnait tour à tour « Ici une fenêtre, six pieds de haut, quatre de large ; là une moindre ouverture, trois pieds de haut, deux de large ! » Et l’œuvre suivait la parole.

Or donc, mes bons amis, c’est au moment de ce bizarre travail, dont tout le monde parlait, que j’arrivai à H*** ; rien n’était plus réjouissant que de voir quelques centaines de badauds, le nez collé aux grilles du jardin de Krespel, et poussant des hurrahs chaque fois qu’une pierre se détachait sous le pic, chaque fois qu’une nouvelle fenêtre trouait le mur çà et là, comme par enchantement. Tous les autres travaux de cette fameuse maison s’exècutèrent de la même manière, sans plan raisonné d’avance, et selon les inspirations toutes spontanées de maître Krespel. La singularité piquante de cette entreprise, la croyance en la réussite, et, plus que toute autre chose, la générosité du conseiller Krespel, animaient le zèle de ses ouvriers ; aussi, grâce à leur activité, la maison fut-elle bientôt terminée ; elle offrait au dehors la plus bizarre irrégularité ; pas une fenêtre ne ressemblait à l’autre, et chaque détail semblait disparate ; mais, examinée intérieurement, c’était en vérité l’habitation la plus commode qu’on pût imaginer ; et j’en tombai d’accord moi-même quand, après quelques jours de plus ample connaissance, maître Krespel m’en fit les honneurs. Il couronna son œuvre par un repas de cérémonie auquel furent seuls admis les maçons qui avaient exécuté ses plans. Ce festin splendide dut offrir le coup d’œil le plus original. Les mets les plus recherchés y furent dévorés à belles dents par des bouches assez peu faites pour apprécier ces frian-