Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/196

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que je ne saurais nommer, que je ne puis définir, s’est emparé de tout mon être depuis mon retour à la vie dans cet hôpital. Quand j’étais pauvre et misérable, et quand fatigué, harassé par les labeurs de mon rude métier, je reposais la nuit couché sur la dure, les songes me visitaient alors, et, rafraîchissant mon front brûlant de leur souffle léger, me versaient l’illusion d’une félicité vague et absolue, que je savourais comme un avant-goût des délices du ciel, dont la foi intime repose dans mon âme. Maintenant je dors sur des coussins moelleux et aucune tâche pénible n’use ma vigueur, mais si j’oublie mon nouveau rêve, et si l’image de cette époque se représente à mon esprit, je sens que ma triste existence à l’abandon me pèse, non moins qu’autrefois, comme un fardeau bien lourd dont j’éprouve la tentation de me débarrasser. En vain je m’examine, en vain je m’interroge : je ne puis deviner quelle fut, dans ma vie antérieure, l’impression si délicieuse dont l’écho indécis et inintelligible, hélas ! pour moi, me remplit encore d’un tel sentiment de bonheur ; et comment cette émotion ne se changerait-elle pas en cuisante douleur, en mortel supplice, si je suis forcé de renoncer à tout espoir de retrouver cet éden inconnu, et même à l’idée d’en tenter la recherche ? Peut-on découvrir les traces de ce qui a disparu sans en laisser ! » — Antonio se tut et un profond soupir s’échappa de son sein.

La vieille, pendant sa narration, s’était demenée comme quelqu’un qui, sympathisant à la souffrance d’autrui, s’émeut de tout ce qu’on lui dépeint, et