Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/197

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rend, ainsi qu’un miroir fidèle, chaque mouvement douloureux exprimé par celui qui parle. « Tonino, dit-elle alors d’une voix sanglotante, mon cher Tonino ! tu te désespères pour une émotion de sublime bonheur dont tu crois avoir joui, et dont le souvenir exact s’est effacé ? Fol enfant ! enfant insensé ! — prends garde. — Hi, hi, hi… » — La vieille recommença, selon son habitude, ses ricanements désagréables, et se mit à sautiller sur le palier de marbre. Du monde vint a passer, elle se prosterna et on lui jeta des aumônes. — « Antonio ! Antonio ! cria-t-elle soudain, emporte-moi, emporte-moi vers la mer ! » — Antonio, sans se consulter, mais presque involontairement, prit la vieille par le bras et la conduisit lentement à travers la place Saint-Marc.

Tout en marchant, la vieille murmurait à voix basse et d’un air solennel : « Antonio, ne vois-tu pas les noires taches de sang sur le pavé ? — Oui du sang, — beaucoup de sang, beaucoup de sang partout ! — Mais, hi, hi, hi ! — du sang naissent des roses, de belles roses rouges, pour te tresser une couronne, Antonio, — pour ta bien-aimée ! — Ô Seigneur de nosâmes ! quel est cet ange de lumière ravissant, qui s’avance vers toi si gracieux et avec un sourire aussi pur que le firmament ? Ses bras blancs comme les lys s’ouvrent pour t’accueillir. Ô Antonio, enfant bienheureux ! — Courage, courage ! et ta main cueillera des myrtes au coucher du soleil ; des myrtes pour la fiancée, pour la jeune veuve. — Hi, hi, hi, hi ! — Des myrtes cueillis pendant le coucher du soleil : mais ils ne fleurissent qu’à minuit. — En-