Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/155

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dans le poitrail de son coursier, qui se cabra de rage et de douleur et fut renversé. Agaillar sauta vite de cheval pour ne pas être entraîné dans la chute. Le Maure s’était avancé au grand galop, et dirigea son glaive en forme de faux contre la tête désarmée d’Aguillar ; mais celui-ci para adroitement le coup mortel, et riposta si puissamment que le Maure n’échappa qu’en se courbant de l’autre côté de son cheval. Dans le même moment, le cheval du Maure s’approcha tellement d’Aguillar, qu’il devint impossible à celui-ci de porter un second coup. Le Maure tira son poignard, mais avant qu’il eût pu s’en servir Aguillar, avec une vigueur de géant, l’avait enlevé de dessus son cheval et jeté à terre. Il lui mit le genou sur la poitrine. Puis, ayant saisi de la main gauche le bras droit du Mauve avec assez de force pour l’empêcher de faire le moindre mouvement, il tira à son tour son poignard. Déjà il avait levé le bras pour percer la gorge de son adversaire, quand celui-ci murmura avec un profond soupir :

— Zuléma !

Pétrifié, immobile comme une statue, Aguillar ne put porter le coup fatal.

— Malheureux, lui cria-t-il, quel nom viens-tu de prononcer !

— Tue-moi, répondit le Maure ; tu tueras celui qui a juré ta perte et ta mort. Oui, sache-le, perfide chrétien, je suis Hichem, le dernier de la tribu d’Alhamar, à qui tu as ravi Zuléma. Sache que le mendiant en haillons qui, sous le masque de la folie, se glissait dans votre camp, était Hichem le Maure. Sache que j’ai réussi à incendier la sombre prison dans laquelle tu avais enfermé l’étoile de mes pensées, et à sauver Zuléma.

— Zuléma !… Julia vit encore ? s’écria Aguillar.

Hichem partit d’un horrible éclat de rire, et dit avec un ton de dérision amère :

— Oui, elle vit, mais votre idole sanglante et couronnée d’épines la tient sous l’empire d’un charme maudit. La fleur de sa vie s’est fanée dans les linceuls de femmes insensées que vous appelez les épouses de votre Dieu. Sache que le chant est éteint dans sa poitrine comme si le souffle empoisonné du simoun l’avait anéanti. Tous les plaisirs de la vie sont morts avec les douces chansons de Zuléma ; tue-moi donc, tue-moi, puisque je ne puis me venger de toi, qui m’as pris plus que la vie.