Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/296

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Le comte Népomucène fut bien étonné en voyant Xavier prendre congé de lui. Il fit tout pour l’engager à rester ; mais Xavier s’y refusa avec une fermeté qui provenait plutôt d’un spasme nerveux que d’une véritable force d’âme, et prétéxta des affaires particulières.

Xavier, son sabre au côté, son bonnet de police à la main, se tenait au milieu de la chambre. Son domestique était dans l’antichambre et portait son manteau. Les chevaux impatients hennissaient devant la grande porte. En ce moment la porte de la salle s’ouvrit, et Herménégilde entra. Elle s’approcha du comte Xavier avec une grâce inexprimable, et lui dit en lui adressant un doux sourire :

Vous voulez partir, mon cher Xavier ? Je comptais vous entendre encore parler tant de fois de mon bien-aimé Stanislas ! Savez-vous bien que vos récits me procurent de merveilleuses consolations ?

Xavier baissa les yeux, et une vive rougeur colora ses joues. On s’assit ; le comte Népomucène assura à plusieurs reprises que depuis plusieurs mois il n’avait pas vu Herménégilde dans cet état de calme et d’effusion.

L’heure du souper arriva. À un signe du comte, on servit le repas dans la pièce même où ils étaient. Le meilleur vin de Hongrie pétilla dans les verres, et, la figure animée, Herménégilde prit une coupe remplie, et but à son bien-aimé, à la liberté et à la patrie.

— Je partirai cette nuit, se dit Xavier ; et dès que la table fut desservie, il demanda à son domestique si la voiture attendait.

Celui-ci lui répondit que depuis longtemps, par ordre du comte Népomucène, les bagages avaient été rentrés, la voiture placée sous la remise, les chevaux dételés et conduits à l’écurie, et que le cocher ronflait sur la litière.

Xavier prit son parti. L’apparition imprévue d’Herménégilde l’avait convaincu qu’il était non seulement possible, mais encore convenable et à propos de rester, et de cette conviction il en vint à une autre : c’est qu’il ne s’agissait que d’être maître de soi, c’est-à-dire de réprimer ces élans de passion qui, irritant l’esprit malade Herménégilde, pouvaient lui être pernicieux. Il se dit, en terminant ces réflexions, qu’il fallait tout attendre des circonstances ; Herménégilde, tirée de ses rêveries, pourrait préférer un présent tranquille à un avenir douteux, et qu’en demeurant au château il n’était ni déloyal ni traître envers son ami.


VII