Page:Hoffmann - Le Pot d’or.djvu/16

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foule d’ustensiles inconnus étaient placés en tas sur le parquet, et dans la cheminée brûlait un petit feu bleuâtre qui de temps en temps crachait des étincelles jaunes. Mais alors un bruit éclata de haut en bas, et des chauves-souris repoussantes, ayant comme des visages humains grimaçant le sourire, voltigeaient çà et là, et de temps en temps une flamme s’élevait et léchait le mur noirci, et alors retentissaient des plaintes qui hurlaient et déchiraient les oreilles.

Véronique était oppressée de crainte.

— Avec permission, ma bonne demoiselle, dit la vieille en souriant, et elle prit un petit balai, et après l’avoir trempé dans un chaudron de cuivre aspergea la cheminée.

Alors le feu s’éteignit, et la chambre comme par l’épaisseur de la fumée fut plongée dans l’obscurité la plus complète ; mais bientôt la vieille, qui était entrée dans le cabinet voisin, revint avec une lumière allumée, et Véronique ne vit plus aucun des animaux ni tous les ustensiles : c’était une chambre pauvrement meublée.

La vieille s’approcha d’elle et lui dit d’une voix forte :

— Je sais ce que tu viens me demander, ma fille ; je gage que tu voudrais savoir si tu épouseras Anselme lorsqu’il sera devenu conseiller aulique.

Véronique resta glacée d’étonnement et d’effroi ; mais la vieille continua ainsi :

— Tu m’as déjà raconté tout cela à la maison, chez ton père, lorsque tu avais la cafetière devant toi, j’étais la cafetière, ne m’as-tu pas reconnue ? Ma chère, laisse là Anselme : c’est un vilain homme qui a foulé mes filles aux pieds, mes petites filles les pommes avec leurs joues rouges qui lorsque les gens les ont achetées reviennent de leurs poches dans mon panier. Il s’est uni avec le vieux ; avant-hier il m’a jeté au visage une drogue maudite qui m’a presque aveuglée. Tu peux en voir encore les taches de brûlure. Ma fille, laisse-le là, laisse-le là. Il ne t’aime pas, car il est épris du serpent vert d’or. Il ne sera jamais conseiller aulique puisqu’il se placera parmi les salamandres, et il veut épouser le serpent ; laisse-le, laisse-le.

Véronique, qui était douée d’un caractère ferme, avait bientôt surmonté ses frayeurs de jeune fille ; elle recula d’un pas, et dit d’un ton sérieux et calme :

— Vieille, j’ai entendu parler de votre talent à lire dans l’avenir, et je voudrais savoir de vous (peut-être suis-je trop curieuse et trop impatiente) si Anselme, que j’aime et j’estime, ne m’appartiendra pas un jour. Si, au lieu de remplir mon désir, vous voulez me troubler de votre bavardage insensé, vous agissez alors mal avec moi, car je sais que vous avez accordé à d’autres ce que j’attends de vous. Puisque vous connaissez, à ce qu’il paraît, mes plus secrètes pensées, il vous serait peut-être facile de me dévoiler bien des choses qui m’inquiètent et me tourmentent maintenant ; mais, après vos folles calomnies sur le bon Anselme, je ne veux plus rien savoir de vous. Bonne nuit !

Véronique voulait sortir ; mais la vieille se jeta à ses pieds en pleurant et en gémissant, et lui dit en la retenant par sa robe :

— Ma chère Véronique ! ne reconnais-tu donc plus la vieille Lise qui t’a si souvent portée dans ses bras, et qui t’a soignée et dorlotée ?

Véronique en croyait à peine ses yeux ; car elle reconnaissait sa nourrice, bien changée il est vrai par son grand âge et surtout par les brûlures de son visage ; sa nourrice, qui avait disparu depuis bien des années de la maison de son père. À cette époque aussi la vieille avait un tout autre aspect. Elle avait en place du vilain mouchoir bariolé un bonnet vénérable, et au lieu de ses haillons noirs elle portait une robe à grandes fleurs. Elle se leva, et prenant Véronique dans ses bras elle continua ainsi :

— Ce que je t’ai dit te paraît bien fou, mais c’est cependant la vérité. Anselme m’a fait beaucoup de mal, mais sans le vouloir. Il est tombé dans les mains de l’archiviste, qui veut lui faire épouser sa fille. L’archiviste est mon grand ennemi, et je pourrais te dire de lui des choses qui te paraîtraient incompréhensibles ou te jetteraient dans un grand effroi. C’est l’homme sage, mais je suis la femme sage ; je remarque que tu as de l’inclination pour Anselme, et je veux te venir en aide de toutes mes forces afin que tu sois très-heureuse et que tu fasses avec lui un mariage tel que tu le désires.

— Mais, dis-moi, au nom du ciel, Lise ! dit Véronique.

— Tais-toi, tais-toi, mon enfant, interrompit la vieille ; je sais ce que tu vas dire : je suis devenue ce que je suis parce que cela devait être, je ne pouvais faire autrement. Ainsi donc, je sais un moyen de guérir Anselme de son amour insensé pour le serpent vert, et pour l’amener dans tes bras comme le plus aimable des conseillers auliques, mais il faut que tu m’aides.

— Dis-moi franchement ce qu’il faut que je fasse, Lise, j’entreprendrai tout, car j’aime beaucoup Anselme, murmura Véronique d’une voix qui s’entendait à peine.

— Je te connais, continua la vieille, comme une fille de courage ; j’ai essayé en vain de t’envoyer coucher en te menaçant de Croquemitaine, et alors même tu ouvrais de grands yeux pour mieux le voir. Tu allais sans lumière dans les chambres les plus retirées, et tu effrayais souvent les enfants du voisin avec le peignoir à poudre de ton père.