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Page:Hoffmann - Le Pot d’or.djvu/8

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Mais au milieu de la vallée était une colline sombre, qui se levait inégale comme la poitrine des hommes lorsqu’elle est gonflée par l’ardent désir. Du fond de l’abîme des vapeurs montaient en roulant et en formant des boules rassemblées en masses immenses, et elles s’efforçaient de voiler en ennemies le visage paternel. Mais l’orage les appelait plus loin et courait en mugissant parmi elles, et lorsque le rayon pur touchait de nouveau la sombre colline, alors un magnifique lis de feu s’en détachait rapidement. Les belles feuilles s’ouvraient comme des lèvres charmantes pour aspirer les doux baisers du soleil.

Alors une brillante lumière courut dans la vallée : c’était le jeune Phosphorus ; la fleur du lis de feu le vit, et elle murmura saisie d’un ardent désir :

— Beau jeune homme, sois à moi pour toujours, car je t’aime, et si tu me délaissais il me faudrait mourir.

Et le jeune Phosphorus lui répondit :

— Je veux être à toi, belle fleur, mais alors, enfant dénaturé, tu quitteras ton père et ta mère et tu ne connaîtras plus tes compagnes. Tu seras plus grande et plus forte que toutes celles qui sont maintenant tes égales. Le désir bienfaisant qui réchauffe maintenant ton être, divisé en cent rayons, fera ton tourment et ton martyre, car le sens enfantera les sens, et la plus grande joie qu’allumera l’étincelle que je jette en toi sera une douleur sans espoir qui te fera mourir pour germer de nouveau en étrangère : cette étincelle est la pensée.

— Ah ! dit la fleur d’une voix plaintive, puis-je donc m’empêcher, dans l’ardeur qui m’embrase, de me donner à toi ? puis-je t’aimer plus que je ne le fais maintenant ? et ne puis-je pas te regarder comme à présent lorsque tu m’anéantiras ?

Alors le jeune Phosphorus l’embrassa, et comme traversée par un rayon de lumière elle s’enflamma, et des flammes sortit un être étranger, qui, s’enfuyant rapidement de la vallée, se mit à voltiger dans les espaces infinis, ne s’inquiétant plus des compagnes de sa jeunesse et du jeune homme chéri. Celui-ci se plaignit d’avoir perdu sa bien-aimée, car un amour immense pour la belle fleur de lis l’entraînait dans la vallée solitaire, et, attendries de sa douleur, les roches de granit abaissaient leurs têtes.

Mais une d’elles ouvrit son sein, et il en sortit un noir dragon ailé, qui disait en s’envolant au dehors :

— Mes frères les métaux dorment là dedans, mais moi je suis toujours actif et éveillé, et je veux te venir en aide.

Et en s’abaissant vers les plaines le dragon atteignit l’être qui était né de la fleur de lis ; il l’emporta sur la colline et l’enferma dans ses ailes. Alors la fleur reparut, mais la pensée qui était restée déchirait son âme, et son amour pour le jeune Phosphorus était une poignante douleur, et en respirant sa vapeur empoisonnée les petites fleurs qui autrefois se réjouissaient de son regard se flétrissaient et mouraient.

Le jeune Phosphorus revêtit une brillante armure, où jouaient des rayons de mille couleurs, et combattit le dragon, qui de son aile noire frappait la cotte de mailles, qui rendait un son éclatant ; et ce son puissant donnait la vie aux petites fleurs qui voltigeaient comme des oiseaux bigarrés autour du dragon, qui perdait ses forces, et, vaincu, finit par se cacher au fond de la terre.

La fleur de lis fut délivrée, le jeune Phosphorus la prit dans ses bras, tout brûlant des désirs d’un céleste amour, et les fleurs chantaient leurs louanges dans un hymne mêlé d’accents de joie, ainsi que les oiseaux et même les hautes roches de granit de la vallée.

— Permettez, ceci est de l’exagération orientale, honorable archi-