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mation de l’univers ; il ne préſente aucun ſens auquel l’eſprit puiſſe s’arrêter. [1]

Cette notion devient plus obſcure encore quand on attribue la création ou la formation de la matiere à un être ſpirituel, c’eſt-à-dire, à un être qui n’a aucune analogie, aucun point de contact avec elle, & qui, comme nous le ferons voir bientôt, étant privé d’étendue & de parties ne peut être ſuſceptible du mouvement, celui-ci n’étant que le changement d’un corps rélativement à d’autres corps, dans lequel le corps mu préſente ſucceſſivement différentes parties à différens points de l’eſpace. D’ailleurs tout le monde convient que la matiere ne peut point s’anéan-

  1. Preſque tous les anciens philoſophes ont été d’accord pour regarder le monde comme éternel. Ocellus Lucanus dit formellement en parlant de l’univers ει δε γαρ ην και εσαι : il a toujours été & il sera toujours. Tous ceux qui renonceront au préjugé ſentiront la force du principe que rien ne ſe fait de rien Vérité que rien ne peut ébranler. La création dans le ſens que les modernes lui attachent, eſt une Subtilité Théologique. Le mot hébreu barah eſt rendu en grec dans la version des ſeptante par εποιησεν. Vatable & Grotius aſſurent que pour rendre la phraſe hébraïque du premier verſet de la Geneſe il faut dire ; lorsque Dieu fit le ciel & la terre la matiere étoit informe. Voyez le Monde ſon origine & ſon antiquité chap. 2. pag. 59. D’où l’on voit que le mot hébreu que l’on a rendu par créer ne signifie que former, façonner, arranger. Κτίζειν & ποιεῖν, créer & faire ont toujours indiqué la même choſe. Selon S. Jérôme creare c’eſt la même chose que condere fonder, bâtir. La Bible ne dit nulle part d’une façon claire que le monde ait été fait de rien. Tertullien en convient, & le Pere Pétau dit que cette vérité s’établit plus par le raiſonnement que par l’autorité. Voyez Beauſobre hist. du Manichéiſme tom. I. page. 178. 206. 218. St. Juſtin paroit avoir regardé la matiere comme éternelle, puiſqu’il loue Platon d’avoir dit que Dieu dans la création du monde n’avoit fait que donner l’impulſion à la matiere & la façonner. Enfin Burnet dit en termes formels ; creatio & annihilatio hodierno ſenſu ſunt voces fictitiæ ; neque enim occurrit apud Hebræos, Græcos aut Latinos, vox ulla ſingularis, quæ vim iſtam olim habuerit. V. Archælog. philosoph. lib. I. cap. 7. pag. 374. edit. amſt. 1699. “Il eſt très difficile, dit un anonyme, de ne pas ſe perſuader que la matiere ſoit éternelle, étant impoſſible à l’eſprit humain de comprendre qu’il y ait jamais eu un tems, & qu’il y en ait jamais un autre, où il n’y ait eu & où il n’y aura ni eſpace, ni étendue, ni lieu, ni abîme & où tout ſoit néant”. Voyez Diſſertations mélées tom. 2. pag. 74.