Page:Holbach - Système de la nature, 1770, tome 2.djvu/254

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n’ont aucun remède pour un être perverti à ce point ; il n’est point de frein capable de contenir ses passions auxquelles la religion même lâche continuellement la bride & qu’elle rend plus téméraires. Toutes les fois qu’on se flatte d’expier facilement le crime, on se livre au crime avec facilité. Les hommes les plus déréglés sont souvent très attachés à la religion ; elle leur fournit le moyen de compenser par des pratiques ce qui manque à leurs mœurs ; il est bien plus aisé de croire ou d’adopter des dogmes, & de se conformer à des cérémonies, que de renoncer à ses habitudes, ou de résister à ses passions.

Sous des chefs dépravés par la religion même, les nations durent nécessairement se corrompre. Les grands se conformèrent aux vices de leurs maîtres ; l’exemple de ces hommes distingués, que le vulgaire croit heureux, fut suivi par les peuples ; les cours devinrent des cloaques d’où sortit continuellement la contagion du vice. La loi capricieuse & arbitraire décida seule de l’honnête ; la jurisprudence fut inique & partiale ; la justice n’eut son bandeau sur les yeux que pour le pauvre ; les idées vraies de l’équité s’effacèrent de tous les esprits ; l’éducation négligée ne servit qu’à faire des ignorans, des insensés, des dévots toujours prêts à se nuire ; la religion, soutenue par la tyrannie, tint lieu de tout ; elle rendit aveugles & souples les peuples que le gouvernement se proposoit de dépouiller[1].

  1. Machiavel, dans les Chapitres 11, 12 et 13 de ses Discours politiques sur Tite-Live s’efforce de montrer l’utilité dont la superstition fut à la république romaine ; mais par malheur les exemples dont il s’appuie prouvent qu’il n’y eût que le sénat qui profita de l’aveuglement du peuple pour le tenir sous le joug.