que la nature entière étoit faite pour lui seul ; que ce n’étoit que lui seul qu’elle avoit en vue dans ses ouvrages, ou bien que les causes puissantes à qui cette nature étoit subordonnée n’avoient pour objet que l’homme dans tous les effets qu’elles opéroient dans l’univers.
S’il y avoit sur la terre d’autres êtres pensans que l’homme, ils tomberoient vraisemblablement dans le même préjugé que lui ; il est fondé sur la prédilection que chaque individu s’accorde nécessairement à lui-même ; prédilection qui subsiste jusqu’à ce que la réflexion & l’expérience l’aient rectifiée.
Ainsi dès que l’homme est content, dès que tout est en ordre pour lui, il admire ou il aime la cause à laquelle il croit devoir son bien-être ; dès qu’il est mécontent de sa façon d’exister, il hait & craint la cause qu’il suppose avoir produit en lui ces effets affligeans. Mais le bien-être se confond avec notre existence, il cesse de se faire sentir lorsqu’il est habituel & continu ; nous le jugeons alors inhérent à notre essence ; nous en concluons que nous sommes faits pour être toujours heureux ; nous trouvons naturel que tout concoure au maintien de notre être. Il n’en est pas de même quand nous éprouvons des façons d’être qui nous déplaisent ; l’homme qui souffre est tout étonné du changement qui se fait en lui ; il le juge contre nature, parce qu’il est contre sa propre nature ; il s’imagine que les événemens qui le blessent sont opposés à l’ordre des choses ; il croit que la nature est dérangée toutes les fois qu’elle ne lui procure point la façon de sentir qui lui convient, & il conclut de ces suppositions que cette na-