Consumé tous les jours d'une affreuse tristesse,
Accuser en mourant ma timide tendresse :
C'est à ce seul péril que mon coeur a cédé. [205]
Il fallait vous sauver ; et j'ai tout hasardé.
Je ne m'en repens pas. Le ciel que j'en atteste
Voit que si mon audace à moi seule est funeste,
Même sur l'échafaud, je chérirais l'honneur
D'avoir, jusqu'à ma mort, fait tout vôtre bonheur. [210]
Ne doutez point Inès qu'une si belle flamme
De feux aussi parfaits n'ait embrasé mon âme.
Mon amour s'est accru du bonheur de l'époux.
Vous fîtes tout pour moi ; je ferai tout pour vous.
Ardent à prévenir, à venger vos alarmes, [215]
Que de sang payerait la moindre de vos larmes !
Tout autre nom s'efface auprès des noms sacrez
Qui nous ont pour jamais l'un à l'autre livrez.
Je puis contre la Reine écouter ma colère ;
Et même le respect que je dois à mon père, [220]
Si je tremblais pour vous...
Ah ! Cher prince, arrêtez.
Je frémis de l'excès où vous vous emportez.
Pour prix de mon amour, rappelez-vous sans cesse
La grâce que de vous exigea ma tendresse.
Le jour heureux qu'Inès vous reçût pour époux, [225]
Vous la vîtes, seigneur, tombant à vos genoux,
Vous conjurer ensemble et de m'être fidèle,
Et de n'allumer point de guerre criminelle ;
Et dans quelque péril que me jeta ma foi,
De n'oublier jamais que vous avez un roi. [230]
Je ne vous promis rien ; et je sens plus encore
Qu'il n'est point de devoir contre ce que j'adore.
Si je crains pour vos jours, je vais tout hasarder ;
Et vous m'êtes d'un prix à qui tout doit céder.
Mais, s'il le faut, fuyez : que le plus sûr asile [235]