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LABRADOR ET ANTICOSTI

nent. Les voiles se tendent, l’ancre se lève, pendant que, sur le rivage, une troupe de braves gens brûlent encore de la poudre en l’honneur de leur évêque.

Ce yacht qui, pour l’occasion, porte « César et sa fortune », est la propriété de M. Malouin, dont l’obligeance « s’acharne » vraiment après nous, puisqu’il a pourvu à tous les frais de notre retour à la Côte Nord ; les deux plus âgés de ses fils nous accompagnent et mêlent, par leur belle gaieté de jeunes gens, une charmante « note d’agrément » aux graves préoccupations de la société du bord.

Et le petit navire — qui avait déjà navigué, et à qui les vivres ne vinrent pas à manquer, grâce à quoi ni le plus jeune, ni personne à la sauce blanche ne fut mangé — le petit navire se penchait bien sous l’effort du vent d’ouest qui soufflait rudement ; le petit navire dansait sur la crête des vagues furieuses que le vieil Éole, en veine de malice, s’amusait à soulever autour de nous. C’était plaisir de voir la frêle embarcation se jouer ainsi au milieu de ces montagnes d’eau et sauter vivement de l’une à l’autre. Cela ne manqua point pourtant de tourner un peu au tragique, surtout pour moi. À certain moment, en effet, je causais le plus tranquillement du monde, sans m’attendre à aucun fâcheux événement, lorsque, par suite d’une légère distraction du timonier, le yacht prêta le flanc à l’ennemi, qui ne se fit pas prier : à l’instant un paquet de mer — oh ! pas énorme ! un petit paquet de mer ! — s’élança par-dessus bord, me prit traîtreusement en queue, et, tout en s’en allant courir partout dans l’embarcation, ne manqua pas de s’engouffrer, chemin faisant, dans les béantes ouvertures des poches de ma houppelande. On organisa vite le service de sauvetage ; on fit jouer les pompes avec grande promptitude, et l’on retira en triste état mon bréviaire, et mon tabac, et mes belles allumettes « Flaming Wax Vestas », et toutes ces choses que l’on peut s’attendre de trouver dans les vastes et profondes poches d’un touriste de mon espèce. Ce sont là de petits désagréments de voyage, qu’il faut accepter gaiement. Mais voilà ce