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Page:Huard - Labrador et Anticosti, 1897.djvu/286

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LABRADOR ET ANTICOSTI

Oui, il est inutile de le cacher, c’est le nord-est qui souffle, et c’est pourtant vers l’orient que nous allons. Ah ! qu’on apprécie, dans de telles circonstances, la navigation à vapeur ! Les gens qui n’ont dans leur vie d’autres exploits maritimes que la traversée de Québec à Lévis, le voyage de Montréal ou du Saguenay — tout cela à bord de steamboats rapides — ne se rendent peut-être pas compte de l’importance du bienfait que la Providence a réservé à notre siècle, en le gratifiant de la machine à vapeur. Un petit voyage à la voile, par vent contraire, leur donnerait une meilleure intelligence des choses.

Ce qu’il y a de mieux à faire, quand le vent n’est pas favorable, c’est de rester à l’ancre et d’attendre patiemment qu’il le devienne. Pourtant, lorsque l’on sait s’y prendre, on peut avancer même contre le vent, en louvoyant. Mais il y faut non moins de patience ; car, dans le louvoyage, la course est bien lente. Il a fallu la journée entière à notre petit vaisseau pour aller de Mingan à la Pointe-aux-Esquimaux, une distance de six lieues environ. L’un des passagers, dès le départ, s’était retiré dans la cabine pour reprendre un peu du sommeil perdu la nuit précédente. Il en sortit une couple d’heures après, et, regardant la côte : « Quel est cet endroit, demanda-t-il ? — C’est Mingan. — Nous sommes encore en face de Mingan !… Mais, ne pourrions-nous pas louvoyer ? — C’est bien ce que nous faisons depuis deux heures. » Nous n’avions en effet presque pas bougé, parce que le courant même nous était contraire. Quand la marée se mit à baisser, notre course devint un peu plus rapide.

Vers le milieu de l’avant-midi, nous aperçûmes de loin une embarcation qui venait à notre rencontre. C’était une chaloupe envoyée par M. le G. V. Gendron, et conduite par sept ou huit vigoureux gars de la Pointe-aux-Esquimaux. Ces jeunes gens, qui s’attendaient à nous rencontrer beaucoup plus tôt, n’avaient pas emporté de provisions ; ils ramaient depuis sept heures du matin, et ils eurent à continuer le même exercice jusqu’au retour, à quatre heures de relevée, sans presque d’interruption et sans autre dîner que les quelques biscuits que nous pûmes partager avec eux.