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je suis convaincu de la nécessité de cette apparente digression pour l’intelligence et la clarté du sujet.[1] Je veux aussi qu’on ait une idée de toutes les tempêtes qu’ont eu à essuyer ces lambeaux d’un peuple jadis heureux, sur la mer si effroyablement houleuse qu’ils ont traversée, avant d’échouer aux Îles de la Madeleine. Car leurs misères ne sont pas finies. Si on les plaint à cause des difficultés qu’ils ont rencontrées ici, que ne le fera-t-on pas en marchant avec eux la route infiniment longue et caillouteuse de l’éternel calvaire qu’ils n’ont pu surmonter, pour ne pas avoir trouvé de Cyrénéen qui les aidât à porter leur lourde croix et les empêchât de mourir dessous. Si j’ose effleurer cette comparaison, c’est que la belle figure du Crucifié a plané chaque jour sur ce supplément de sa passion et que le rapprochement n’a rien d’humiliant pour le Christ, parce que les martyrs acadiens sont dignes des grands martyrs de la Rome antique. Mais comment expliquer un tel océan de souffrance, une si longue et si ignominieuse passion ? « C’est plus haut que la terre, en dehors du temps, du nombre et de l’espace, qu’il faut en chercher une explication qui repose l’esprit désemparé en présence d’un tel sort fait à l’innocence et qui comprime les mouvements d’un cœur honnête que l’indignation, au souvenir de si grands malheurs, fait battre trop vite. De tout temps il a fallu qu’il y eut des justes souffrants. C’est la grande loi d’équilibre moral qui empêche notre monde d’être englouti dans le néant. À cause de sa foi, de ses vertus, la race acadienne a été choisie pour prendre rang parmi ces victimes augustes que l’antiquité païenne elle-même plaçait très haut : le juste qui expie.

  1. Dans ce pèlerinage avec mes ancêtres, j’ai consulté le merveilleux travail de Monsieur Placide Gaudet, dans le volume II du rapport des Archives canadiennes pour l’année 1905 et un manuscrit appartenant au Séminaire du Saint-Esprit, 30, rue Lhomond, à Paris, déposé aux archives d’Ottawa.