Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 1.djvu/73

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rait être, par un temps calme, au milieu de l’Océan. L’aspect des prairies de la Mongolie n’excite ni la joie ni la tristesse, mais plutôt un mélange de l’une et de l’autre, un sentiment mélancolique et religieux, qui peu à peu élève l’âme, sans lui faire perdre entièrement de vue les choses d’ici-bas : sentiment qui tient plus du ciel que de la terre, et qui paraît bien conforme à la nature d’une intelligence servie par des organes.

On rencontre quelquefois dans la Tartarie des plaines plus vivantes et plus animées qu’à l’ordinaire ; c’est lorsque la beauté des eaux et des pâturages y attire de nombreuses familles. On voit alors s’élever, de toute part, des tentes de diverses grosseurs, semblables à des ballons gonflés par le gaz, et déjà prêts à s’élancer dans les airs. Les enfants, le dos surmonté d’une hotte, courent çà et là dans les environs, à la recherche des argols, qu’ils vont amonceler tout à l’entour de la tente. Les matrones donnent la chasse aux jeunes veaux, font bouillir le thé au grand air, ou préparent le laitage ; tandis que les hommes montés sur des chevaux fougueux, et armés d’une longue perche, galoppent dans tous les sens, pour diriger dans les bons pâturages les grands troupeaux qu’on voit se mouvoir et ondoyer dans le lointain, comme les flots de la mer.

Toutefois, ces tableaux si animés disparaissent souvent tout à coup, et on ne rencontre plus rien de ce qui naguère était si plein de vie. Hommes, tentes, troupeaux, tout semble s’être brusquement évanoui. On aperçoit seulement dans le désert des cendres amoncelées, des foyers mal éteints, quelques ossements que se disputent les oiseaux de proie, seuls vestiges qui annoncent que le nomade