Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 2.djvu/234

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s'en préparait une autre, nous disait-on, bien plus formidable encore, quoique d'une nature différente. Nous commencions à gravir la vaste chaîne des monts Tant-La. Au dire de nos compagnons de voyage, tous les malades devaient mourir sur le plateau, et les bien-portants y endurer une forte crise. M. Gabet fut irrévocablement condamné à mort par les gens d'expérience. Après six jours de pénible ascension sur les flancs de plusieurs montagnes placées comme en amphithéâtre les unes au-dessus des autres, nous arrivâmes enfin sur ce fameux plateau, le point peut-être le plus élevé du globe. La neige semblait y être incrustée, et faire partie du sol. Elle craquait sous nos pas ; mais nous y laissions à peine une légère empreinte. Pour toute végétation, on rencontrait ça et là quelques bouquets d'une herbe courte, pointue, lisse, ligneuse à l'intérieur, dure comme du fer, sans être cassante ; de sorte qu'on eût pu facilement en faire des aiguilles de matelassier. Les animaux étaient si affamés, qu'il leur fallait, bon gré mal gré, attaquer cet atroce fourrage. On l'entendait craquer sous leurs dents, et ils ne pouvaient parvenir à en dévorer quelques parcelles, qu'après de vigoureux tiraillements et à la condition de s'ensanglanter les lèvres. Des bords de ce magnifique plateau, nous apercevions à nos pieds les pics et les aiguilles de plusieurs immenses massifs, dont les derniers rameaux allaient se perdre dans l'horizon. Nous n'avons rien vu de comparable à ce grandiose et gigantesque spectacle. Pendant les douze jours que nous voyageâmes sur les hauteurs du Tant-La, nous n'eûmes pas de mauvais temps ; l'air fut calme, et Dieu nous envoya tous les jours un soleil bienfaisant et tiède,