Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 2.djvu/331

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

visiter, ou quand nous le rencontrions dans les rues, il avait toujours son crucifix qui brillait sur sa poitrine, et il ne manquait jamais de nous aborder en disant : Jésus, sauveur du monde, ayez pitié de moi. C'était la formule qu'il avait adoptée pour nous saluer.

Pendant que nous faisions quelques efforts pour répandre le grain évangélique parmi la population de Lha-Ssa, nous ne négligeâmes pas de faire pénétrer cette divine semence jusque dans le palais du Régent ; et ce ne fut pas sans l'espérance d'y recueillir un jour une précieuse moisson. Depuis l'espèce de jugement qu'on nous avait fait subir, nos relations avec le Régent étaient devenues fréquentes, et en quelque sorte pleines d'intimité. Presque tous les soirs, quand il avait terminé ses travaux de haute administration, il nous faisait inviter à venir partager avec lui son repas thibétain, auquel il avait soin de faire ajouter, à notre intention, quelques mets préparés à la chinoise. Nos entretiens se prolongeaient ordinairement bien avant dans la nuit.

Le Régent était un homme d'une capacité remarquable ; issu d'une humble extraction, il s'était élevé graduellement et par son propre mérite jusqu'à la dignité de premier Kalon. Depuis trois ans seulement, il était parvenu à cette charge éminente ; jusque-là il avait toujours rempli des fonctions pénibles et laborieuses ; il avait souvent parcouru, dans tous les sens, les immenses contrées du Thibet, soit pour faire la guerre ou négocier avec les Etats voisins, soit pour surveiller la conduite des Houtouktou placés au gouvernement des diverses provinces. Une vie si active, si agitée, et en quelque sorte incompatible avec l'étude, ne l'avait