Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Choses vues, tome II.djvu/49

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


[LE JARDIN D’HIVER.]


Février 1849.

Pendant que les canons, montrés à l’émeute le 29 janvier, étaient, pour ainsi dire, encore en batterie, un bal de bienfaisance attirait tout Paris au Jardin d’Hiver.

Voici ce que c’était que le Jardin d’Hiver.

Un poëte l’avait peint d’un mot : On a mis l’été sous verre. C’était une immense cage de fer, à deux nefs en croix, grande comme quatre ou cinq cathédrales, et revêtue d’une vitrine gigantesque. Cette cage était bâtie dans les Champs-Élysées. On y pénétrait par une galerie en planches, garnie de tapis et de tapisseries.

Quand on y entrait, l’œil se fermait d’abord dans l’éblouissement d’un flot de lumière ; à travers cette lumière, on distinguait toutes sortes de fleurs magnifiques et d’arbres étranges, avec les feuillages et les altitudes des tropiques et des Florides, bananiers, palmiers, lataniers, cèdres, larges feuilles, énormes épines, branches bizarres tordues et mêlées comme dans une forêt vierge. Du reste, il n’y avait là de vierge que la forêt. Les plus jolies femmes et les plus belles filles de Paris, en toilettes de bal, tourbillonnaient dans cette illumination a giorno comme un essaim dans un rayon.

Au-dessus de cette cohue parée, resplendissait un monstrueux lustre de cuivre, ou plutôt un immense arbre d’or et de flamme renversé, qui semblait avoir sa racine dans la voûte, et qui laissait pendre sur la foule son feuillage de clartés et d’étincelles. Un vaste cercle de candélabres, de lampadaires et de girandoles rayonnait de toutes parts autour de ce lustre comme les constellations autour du soleil. Un orchestre, qui faisait trembler harmonieusement le vitrage, résonnait dans les combles.

Mais ce qui donnait au Jardin d’Hiver une figure à part, c’est qu’au delà de ce vestibule de lumière, de musique et de bruit, que les yeux traversaient comme un voile vague et éclatant, on apercevait une sorte d’arche immense et ténébreuse, une grotte d’ombre et de mystère. Cette grotte où se dressaient de grands arbres, où se hérissait un taillis percé d’allées et de clairières, où l’on voyait un jet d’eau se dissoudre en brume de diamants, n’était autre chose que le fond même du jardin. Des points rougeâtres, qui ressemblaient à des oranges de feu, y reluisaient çà et là dans les branchages. Tout cet en-