Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome I.djvu/424

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douleur inexprimable se mêle à mon dévouement infini pour lui, à mon profond amour pour toi ! Je vais lui écrire, à mon premier loisir, mais sois tranquille ! ma lettre sera assez adroite pour ne rien blesser dans son cœur et lui faire tout sentir. Va, je suis bien désolé, mais tu as une consolation, n’est-ce pas, dans mon amour, et il est tel que tu le mérites, il est respectueux et tendre comme celui qu’on accorde aux anges, il est infini et éternel.

Adieu pour aujourd’hui, bien-aimée. Je n’ai pas la force de te dire que le roi vient d’entrer à Reims, que M. de La Rochefoucauld m’attend ce soir, qu’il faudra être debout cette nuit à trois heures, que je suis fatigué d’avoir couru tout le jour. Rien de tout cela ne m’occupe. Je suis triste, plus triste que jamais. Mais tranquillise-toi. Nous arrangerons tout cela. Ton Victor, ton mari, ton protecteur va revenir, et que te manquera-t-il alors ? Nous rentrerons chez nous, si cela continue un quart d’heure, et nous oublierons tout, excepté les bontés de mon père.

Ton Victor.


29 mai, 6 heures du soir.

Prends donc comme moi l’habitude de numéroter et de bien dater tes lettres ; je suis quelquefois obligé d’en deviner l’époque ; et tu dois savoir, mon Adèle chérie, combien il y a de douceur à se dire : elle écrivait à telle heure, pendant que je faisais telle chose ! Ensuite je n’ai encore reçu que quatre lettres, et il me semble que j’aurais dû en recevoir davantage ; si tes lettres étaient numérotées, je le saurais. Ne prends pas ceci pour un reproche, ange adoré ; si c’est un reproche, il est bien tendre, et il te plaira. Ô mon Adèle, que je t’aime !

Depuis que j’ai reçu tes deux lettres, ma tête ne m’appartient plus. Je me croyais tellement sûr des soins qu’on aurait pour toi ! il me semblait que mon absence te rendait sacrée. Remercie bien Mme Brousse[1] d’une amitié qui m’est chère puisqu’elle te soulage, et des soins qu’une autre devrait te rendre. Ne t’affecte pas du reste. Que t’importe la bonne ou la mauvaise humeur d’une personne étrangère dont tu ne dépends pas, dont tu ne dépendras jamais ! Aime bien mon bon père qui t’aime tant ! Surtout, mon Adèle, épanche bien tout ton cœur dans le mien, dis-moi tout. Ma Didine m’est dix fois plus chère depuis qu’elle te console ; donne-lui mille baisers sur sa charmante bouche qui n’est pas plus fraîche que la tienne.

  1. Mme Brousse avait consolé Mme Victor Hugo et s’était montrée tendre et affectueuse.