Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome II.djvu/203

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sérieuse ? Elle me paraîtrait lugubre, à moi, si elle devait amener de telles lacunes dans nos bonnes causeries. Écrivez-moi donc, je vous prie, qu’il y ait du nouveau ou non, comme je fais, ne fût-ce que pour dire : Vale et nos ama. Je n’ose vous parler aujourd’hui de l’excursion à Jersey, car ce serait vous inviter au déluge ; pluie nuit et jour, averses sur le toit, brumes à la vitre, jardin noyé, boue jusqu’aux genoux, voilà notre idylle en ce moment. Depuis le grand mensonge de 1851, le soleil, lui aussi, ne fait plus que mentir ; la lumière copie les ténèbres ; voilà deux fois de suite que juin manque à sa parole d’honneur ; ces étés Bonapartes me deviennent odieux, surtout s’ils allaient jusqu’à nous priver de vous voir ainsi que madame Samuel ; mais j’espère. Juillet et août nous restent. Un rayon viendra bien, que diable !

Voulez-vous faire circuler notre circulaire ?[1] Je vous l’envoie. Hélas ! nous en sommes à sonner la cloche d’alarme. Et les discours de l’exil ? Point de nouvelles de Freunt ? — Je ne reçois rien. — Je serre vos bonnes et courageuses mains.


V.[2]


À la Junte de Salut, en Espagne.


Citoyens de la junte de salut.

Je ne veux pas tarder un instant à vous exprimer ma reconnaissance.

Les journaux de Madrid du 8 et du 9 m’annoncent la demande que la Junte de salut a bien voulu faire pour moi au gouvernement, sur la noble initiative spontanément prise par deux honorables citoyens espagnols, MM. Fernandez de los Rios et Coello.

J’apprends que le gouvernement a adhéré au désir exprimé par la Junte. Je vous remercie, citoyens, de m’ouvrir les portes de l’Espagne et de me les ouvrir le lendemain d’une révolution. L’air du midi est nécessaire à ma santé, et l’air de la liberté est nécessaire à ma vie. J’ajoute que l’Espagne est pour moi comme une patrie. J’ai passé à Madrid une partie de mon enfance ; la langue, le passé et l’histoire de l’Espagne sont mêlés à ma pensée depuis mon plus jeune âge, et par moments je crois avoir deux mères : la France et l’Espagne.

Je serais parti sur-le-champ et je serais arrivé à Madrid en même temps que cette lettre, si je n’étais en ce moment retenu à Jersey par les soins d’une publication littéraire commencée. Sitôt que je serai dégagé de cette

  1. Appel aux concitoyens. Titre primitif : Aux républicains.
  2. Bibliothèque Nationale.