Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome II.djvu/207

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cette fois, vous aurez la priorité. Je me suis donné une magnifique représentation de votre splendide drame, en lisant le livre et en le jouant sous mon crâne, dans mon jardin, avec la mer pour décor, le ciel pour rideau, l’ouragan pour orchestre, et toutes sortes de fleurs au parterre. — Je vous assure que c’était bien beau ainsi, et bien charmant, et bien grand.

En somme, soyez loué. Vous avez fait jouer sous ce régime de mise au cachot, de servitude et d’ombre, une œuvre d’affranchissement, de liberté et de lumière. Voilà ce que nous pensons tous ici.

Madame Meurice, dans la plus gracieuse lettre du monde, nous promet votre venue pour novembre. Vous l’amènerez, n’est-ce pas ? Quelle douce et bonne petite fête dans ce pays d’hiver et dans cette maison d’exil ! Nous vous rendrons votre chambre, et vous nous rendrez le soleil. Les Contemplations n’auront pas encore paru. Je vous en lirai des vers. Mais si vraiment !

Vous pourrez me rendre service. Si ce livre, poésie pure, paraît par aventure à Paris, vous veillerez un peu, n’est-ce pas, cher poëte ? sur ce pauvre oiseau farouche envolé de la Grève d’Azette, à travers des tourbillons d’écume, et allant s’abattre parmi des bouffées de cigare au boulevard des Italiens. — Nos pauvres souffrants vous remercient ainsi que notre noble et cher poëte Laurent Pichat. Dites-le lui. Je tire sur vous par Godfray fin 7bre, cette traite de 100 francs dont notre caisse a grand besoin. Mlle Rivière vous présentera en outre un bon de 240 fr.

Malgré les enthousiasmes de l’appel qu’on m’adresse, j’ajourne un peu l’Espagne ; il faut voir ce que cette quasi révolution devient.

Tuus. Tuus. Tuus.

Mille amitiés à Gautier, Janin, Limayrac, Pelletan, Jourdan, Nefftzer, — à tous[1].


À Mme de Girardin.


[28 septembre 1854.][2]

J’ai lu la Joie fait peur. Quelle ravissante chose ! Je me la suis jouée et j’en ai eu dans la pensée une représentation exquise. Savez-vous comment ? Je me suis tout bêtement figuré vous la lisant. Votre sourire faisait la rampe, vos yeux étaient le lustre, votre son de voix était la musique de toutes ces

  1. Bibliothèque Nationale.
  2. La lettre de Charles Hugo, continuée par son père, est datée par les faits 28 septembre 1854.