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À George Sand.


Hauteville-House, 6 mai [1862].

Votre lettre m’a attristé. Jugez si ma surprise a été pénible. Je m’étais figuré que ce livre[1] nous rapprocherait encore, et voici qu’il nous éloigne, qu’il nous désunit presque. J’en voudrais à ce livre si je ne le savais pas si honnête.

L’un de nous deux évidemment se trompe. Est-ce vous ? est-ce moi ? Votre franchise provoquant la mienne, laissez-moi vous dire que je crois que c’est vous.

J’avais fait ce rêve que vous, la grande George Sand, vous comprendriez mon cœur comme je comprends le vôtre. Dans tous les cas, vivant solitaire et face à face avec mon intention et tête à tête avec ma conscience, je suis sûr, sinon de ce que je fais, du moins de ce que je veux ; je suis sûr de mon cœur qui est tout à la justice, tout à l’idéal, tout à la raison, tout à ce qui est grand, généreux, beau et vrai, tout à vous, madame.

Victor Hugo[2].


À Albert Lacroix.


H.-H., 8mai [1862].

Il serait fâcheux qu’en lisant le manuscrit avant tout le monde, vous eussiez trop présente à l’esprit l’éventualité[3]. Cela vous troublerait l’effet. Le dénouement sort de la barricade ; ce tableau d’histoire agrandit l’horizon et fait partie essentielle du drame ; il est comme le cœur du sujet, il fera le succès du livre en grande partie. Il faut donc prendre son parti de la situation que nous fait l’abominable régime actuel. C’est le despotisme. Il fera à sa fantaisie. Nous n’y pouvons rien que le faire repentir ensuite. Ce que vous devez dire et répandre dès à présent, c’est que si Bonaparte persécute Les Misérables, la littérature en dedans de la France m’étant fermée, je reprendrai la littérature du dehors, et je recommencerai la guerre de Napoléon-le-Petit et des Châtiments. Ceci pour intimider la persécution et la faire reculer.

  1. La première partie des Misérables. George Sand n’avait pas accepté sans des réserves l’évangélique évêque Myriel.
  2. Archives de Mme  Lauth-Sand.
  3. Ce mot désignait l’interdiction possible.