Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome II.djvu/88

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disait : j’ai besoin de gants, de fiacres, d’argent de poche, etc. J’ai fait avec lui un arrangement : je lui donnerai 50 francs par mois pour son superflu personnel ; lui, de son côté, se lèvera tous les matins comme moi à huit heures et travaillera près de moi jusqu’à onze heures. Moyennant ces trois heures, je le tiendrai quitte de tout autre travail le reste du jour. Il a accepté avec enthousiasme ; il s’est levé et a travaillé le premier jour et le second jour ; mais déjà cela ne va plus que faiblement. Hier il a travaillé une demi-heure, et aujourd’hui pas du tout. Je l’ai un peu grondé, il s’est d’abord exclamé, comme tu sais, puis il a compris, et j’espère qu’à partir de demain la régularité reviendra. Ces 50 francs par mois me gêneront, mais j’aime mieux qu’il ne fasse pas de dettes et qu’il travaille un peu. Tu m’approuves, n’est-ce pas ? Oh ! que je voudrais t’avoir là et que j’aurais besoin de toi pour le remonter de temps en temps ! Du reste, ne le gronde pas pour tout cela. Il va peut-être enfin s’y mettre. Fais comme si je ne t’avais rien dit.

Il inclinerait vers les petits proverbes, vers les petits vers, vers les choses faciles et stériles, vers les collaborations de Dumas, ce qui est pire. Je le retiens et je le tourne vers les travaux sérieux et qui peuvent servir ses idées et son avenir. J’insiste pour qu’il fasse son livre de la Conciergerie. Parle-lui-en de ton côté.

Quant à moi, tu vois d’ici ma vie. Elle est toujours la même : levé à huit heures — travail — déjeuner à onze — ce n’est plus du chocolat. Charles a préféré une côtelette, — réception jusqu’à trois heures — travail jusqu’à cinq — dîner à la table d’hôte avec Charles, Dumas, Noël Parfait[1], Bancel[2], etc. — Visites jusqu’à dix heures — dix heures, travail jusqu’à minuit. Je dîne dehors quelquefois, mais rarement. Il y a ici une bonne vieille polonaise riche, madame de Laska, qui adore Charles. J’y ai dîné une fois. La semaine passée, j’ai dîné avec Girardin, Quinet[3] et Dumas, chez un

  1. À vingt ans, Noël Parfait fut condamné à deux ans de prison, en 1833, pour avoir, dans un poëme : L’aurore d’un beau jour, plaidé la cause des insurgés de juin 1832. Il entra à La Presse en 1836, fut élu représentant du peuple en 1849 et, comme tel, exilé en 1851. À Bruxelles il fut pris par Alexandre Dumas comme secrétaire. Il rentra en France à l’amnistie de 1859. — C’est par Théophile Gautier que Noël Parfait connut Victor Hugo en 1845. Il lui prouva son dévouement et son admiration. Il revit, avec quel scrupule ! les épreuves des Contemplations et de la Légende des Siècles. Nous avons tracé de leur correspondance jusqu’en 1870.
  2. Bancel, représentant du peuple en 1849, fut proscrit en 1851 et vécut à Bruxelles où il fut professeur de littérature française à l’Université. Élu député de Paris en 1869, il mourut en janvier 1871.
  3. Edgar Quinet, philosophe et historien, vit interdire son cours au Collège de France après ses leçons sur les Jésuites. Élu député en 1848, il fut exilé après le 2 décembre et se réfugia à Bruxelles, puis à Veytaux qu’il ne quitta qu’en 1870 après la chute de l’empire. L’estime que Victor Hugo avait pour Edgar Quinet s’affirme dans le discours qu’il prononça sur sa tombe.