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mons. — louvains. — malines.


Bruxelles, 18 août.

Je suis encore à Bruxelles, mon Adèle. En attendant la diligence, je te commence une lettre que je finirai à Louvain ou à Malines. Tu vois combien c’est un bonheur pour moi de me rapprocher de toi par la pensée en t’écrivant.

Je t’ai promis de te reparler de Mons. C’est en effet une ville fort curieuse. Pas un clocher gothique à Mons, car l’église chapitrale de Sainte-Waudru n’a qu’un petit clocheton d’ardoise insignifiant ; en revanche, la silhouette de la ville est chargée de trois beffrois dans ce goût tourmenté et bizarre qui résulte ici du choc du nord et du midi, de la Flandre et de l’Espagne.

La plus haute de ces trois tours, bâtie sur l’emplacement de l’ancien château, et, je pense, vers la fin du dix-septième siècle, a un toit vraiment étrange. Figure-toi une énorme cafetière flanquée au-dessous du ventre de quatre théières moins grosses. Ce serait laid si ce n’était grand. La grandeur sauve.

Autour de ce genre de clochers, imagine des places et des rues irrégulières, tortues, étroites souvent, bordées de hautes maisons de brique et de pierre à pignons taillés du quinzième siècle et à façades contournées du seizième, et tu auras une idée d’une ville de Flandre.

La place de l’hôtel de ville à Mons est particulièrement jolie. L’hôtel de ville a une belle devanture à ogives du quinzième siècle, avec un assez curieux beffroi rococo, et de la place on aperçoit en outre les deux autres clochers.

Comme je devais partir à trois heures du matin, je ne me suis pas couché pour voir cet ensemble au clair de lune. Rien de plus singulier et de plus charmant, sous un beau ciel clair et étoilé, que cette place si bien déchiquetée dans tous les sens par le goût capricieux du quinzième siècle et par le génie extravagant du dix-huitième ; rien de plus original que tous ces édifices chimériques vus à cette heure fantastique.

De temps en temps un carillon ravissant s’éveillait dans la grande tour (la tour des théières) ; ce carillon me faisait l’effet de chanter à cette ville de magots flamands je ne sais quelle chanson chinoise ; puis il se taisait, et l’heure sonnait gravement. Alors, quand les dernières vibrations de l’heure avaient cessé, dans le silence qui revenait à peine, un bruit étrangement doux