Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome II.djvu/341

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religion. Dites un mot basque à un montagnard dans la montagne ; avant ce mot, vous étiez à peine un homme pour lui ; ce mot prononcé, vous voilà son frère. La langue espagnole est ici une étrangère comme la langue française.

Sans doute cette unité vascongada tend à décroître et finira par disparaître. Les grands états doivent absorber les petits ; c’est la loi de l’histoire et de la nature. Mais il est remarquable que cette unité, si chétive en apparence, ait résisté si longtemps. La France a pris un revers des Pyrénées, l’Espagne a pris l’autre ; ni la France ni l’Espagne n’ont pu désagréger le groupe basque. Sous l’histoire nouvelle qui s’y superpose depuis quatre siècles, il est encore parfaitement visible comme un cratère sous un lac.

Jamais la loi d’adhésion moléculaire sous laquelle se forment les nations n’a plus énergiquement lutté contre les mille causes de toutes sortes qui dissolvent et recomposent ces grandes formations naturelles. Je voudrais, soit dit en passant, que les faiseurs d’histoire et les faiseurs de traités étudiassent un peu plus qu’ils n’en ont l’habitude cette mystérieuse chimie selon laquelle se fait et se défait l’humanité.

Cette unité basque amène des résultats étranges. Ainsi le Guipuzcoa est un vieux pays de communes. L’antique esprit républicain d’Andorre et de Bagnères s’est répandu depuis des siècles dans les monts Jaitzquivel, qui sont en quelque façon le Jura des Pyrénées. Ici l’on vivait sous une charte, tandis que la France était sous la monarchie absolue très chrétienne et l’Espagne sous la monarchie absolue catholique. Ici, depuis un temps immémorial, le peuple élit l’alcade, et l’alcade gouverne le peuple. L’alcade est maire, l’alcade est juge, et il appartient au peuple. Le curé appartient au pape. Que reste-t-il au roi ? le soldat. Mais si c’est un soldat castillan, le peuple le rejettera ; si c’est un soldat basque, le curé et l’alcade auront son cœur ; le roi n’aura que son uniforme.

Au premier abord, il semblerait qu’une nation pareille était admirablement préparée pour recevoir les nouveautés françaises. Erreur. Les vieilles libertés craignent la liberté nouvelle. Le peuple basque l’a bien prouvé.

Au commencement de ce siècle, les cortès, qui faisaient à tout propos, et souvent d’ailleurs à propos, des traductions de la Constituante, décrétèrent l’unité espagnole. L’unité basque se révolta. L’unité basque, acculée à ses montagnes, entreprit la guerre du nord contre le midi. Le jour où le trône rompit avec les cortès, c’est dans le Guipuzcoa que la royauté effrayée et traquée se réfugia. Le pays des droits, la nation des fueros cria : Viva el rey neto ! L’antique liberté basque fit cause commune contre l’esprit révolutionnaire avec l’antique monarchie des Espagnes et des Indes.

Et sous cette contradiction apparente il y avait une logique profonde et